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Rééquilibrer la balance culturelle

01/05/2016
Le bâtiment conçu par Kris Yao tire son inspiration de techniques de la calligraphie et de la peinture à l’encre. (AIMABLEMENT FOURNIES PAR LE NPM)
La Branche Sud du Musée national du palais combine une approche générale de l’art et de la culture asiatiques avec un accent spécifique sur la culture chinoise. Elle a aussi pour mission de contribuer au rééquilibrage des ressources entre le nord et le sud de Taiwan

Lors de son inauguration le 28 décembre 2015, la Branche Sud du Musée national du palais a créé la sensation grâce à son architecture étonnante et à ses exquises collections. La construction de ce nouveau point de repère culturel situé à Taibao, dans le district de Chiayi, n’a pourtant pas été sans embûches. Des disputes contractuelles ont d’abord retardé la réalisation du projet de plusieurs années, et quand Morakot, un typhon meurtrier, a frappé l’île en août 2009, avant que le chantier ait pu être protégé, le site a été complètement inondé, repoussant encore les échéances.

Un projet national

La construction de la Branche Sud avait été placée sur la liste des « 12 projets d’infrastructures i-Taiwan » après l’élection de Ma Ying-jeou [馬英九] à la présidence de la République de Chine en 2008, et les missions de la nouvelle institution muséale ont été entièrement révisées avant que les travaux ne redémarrent en 2010.

Lui-même d’une emprise au sol de 3,8 ha, le musée s’élève au cœur d’un site de 70 ha, jardins et pièces d’eau compris. Le terrain appartenait autrefois à Taiwan Sugar Corporation et était couvert de canne à sucre. Le district de Chiayi s’est chargé des travaux de voirie, construisant deux routes et installant des lignes électriques souterraines. Une touche auspicieuse a même pu être ajoutée en attribuant au nouveau musée le numéro 888 (qui sonne en chinois comme une promesse de fortune) sur l’avenue Gugong. Gugong est la transcription phonétique en lettres latines du nom chinois du Musée national du palais.

Le concours international organisé pour choisir le design du bâtiment a été remporté par l’architecte taiwanais Kris Yao [姚仁喜] et son cabinet Artech. Les bâtiments dessinés par Kris Yao sont toujours empreints d’une sérénité toute asiatique. Ils exhalent un sentiment de solidité en conservant une apparence extérieure fluide. Kris Yao est connu pour son extrême attention à la qualité et pour les prouesses techniques qu’exigent ses plans. Il lui a donc fallu trois appels d’offres pour trouver une société capable de répondre à ses exigences, et c’est Lee Ming Construction qui a remporté le contrat.

Un an de travail sur les fondations

Le premier coup de pioche a été donné le 6 février 2013. Ce qui n’avait pas été anticipé, c’est que la préparation des fondations et autres travaux de terrassement prendrait une année. Il restait alors moins de mille jours avant la date prévue pour l’inauguration du musée.

Le site est situé dans une plaine en creux et subissait régulièrement des inondations les jours de fortes pluies. Il a donc été nécessaire de surélever les fondations du bâtiment. Pour ce faire, deux retenues d’eau d’une surface totale de 14 ha ont été creusées, la terre retirée étant utilisée pour remblayer le site où serait construit l’édifice. Ensuite, les ingénieurs ont injecté du sable très profondément dans les sols, créant une couche très compacte dans laquelle ont été insérées des piles de béton. La construction à proprement parler a alors pu commencer.

Depuis la cour intérieure, on prend toute la dimension du jeu entre le vide et le plein auquel s’est livré l’architecte. (CHEN MEI-LING / TAIWAN REVIEW)

Certification diamant

Le bâtiment principal ne comporte que quatre niveaux, mais sa construction a été particulièrement difficile du fait de la hauteur totale de l’ensemble qui est équivalente à celle d’un bâtiment d’habitations d’une dizaine d’étages. En effet, l’île de Taiwan est située en zone sismique. Qui plus est, Taibao n’est qu’à 18 km de la faille de Meishan. Les ingénieurs ont donc ajouté aux structures 210 unités d’isolation répondant à cinq configurations différentes et qui renforcent la résistance du bâtiment aux secousses sismiques. Ce système, acheté en Europe et testé à San Diego, en Californie, aux Etats-Unis, a été installé de façon à rester visible, afin de lui donner un rôle pédagogique.

La Branche Sud, qui a obtenu une certification de diamant, le plus haut niveau en tant que bâtiment vert, est équipée d’éoliennes et de panneaux solaires. Elle a aussi obtenu une certification d’or en tant que « bâtiment intelligent », en attendant d’atteindre le niveau supérieur, la certification de diamant.

Un pont élégant

Pour éviter d’endommager le revêtement qui tapisse le lac artificiel entourant le musée, les ingénieurs ont conçu un pont suspendu de 141 m de long à une seule arche. Cet ouvrage d’art est inspiré des lignes de la calligraphie cursive, en écho à l’architecture du musée. L’arrivée au-dessus du calme des eaux cristallines apporte un apaisement propice à la visite.

La passerelle débouche sur la place Long Ma Xiang [龍馬象] – le dragon, le cheval et l’éléphant qui symbolisent les civilisations chinoise, perse et indienne auxquelles est dédiée la Branche Sud. De là, les visiteurs peuvent soit s’engager dans la cour intérieure du musée, soit entrer dans le bâtiment sur la droite. En traversant le hall d’entrée et en montant vers le niveau suivant, on ressent immédiatement la tension architecturale créée par le positionnement en décalé de formes géométriques massives.

Echanges poétiques

L’architecture de la Branche Sud tire son inspiration de trois techniques de la calligraphie et de la peinture à l’encre : nongmo [濃墨] ou « encre épaisse », feibai [飛白] ou « blanc volant » qui fait référence aux vides apparaissant à l’intérieur des traits sur le papier lorsque le mouvement du pinceau est très rapide, et xuanran [渲染] ou application d’une encre délayée. L’aile est du bâtiment principal est appelée Hall Feibai. C’est un espace caractérisé par l’emploi de grands vitrages bleu-gris à basse émissivité qui permettent d’admirer le lac artificiel et les plaines alentour. C’est aussi un bon endroit pour observer les œuvres d’art installées en divers points des jardins.

L’aile ouest, ou Hall Moyun, qui comporte quatre niveaux, abrite les espaces d’exposition et six réserves. Cette partie donne une impression de stabilité, d’autant que ses façades ne sont pas percées de grandes ouvertures. En réalité, ce que ne devine pas le visiteur au premier regard, c’est que ces façades comportent 89 fenêtres cylindriques en verre peint. Celles-ci laissent passer la lumière extérieure dans les corridors qui sont ainsi comme illuminés par une poussière d’étoile. Kris Yao a également intégré dans ses plans les principes du Carré de Luo Shu, un diagramme mathématique et ésotérique utilisé dans le feng shui et qui aurait été élaboré au IIe s. avant notre ère.

La façade extérieure de cette aile en béton armé est recouverte de plus de 36 000 disques en aluminium coulé de cinq tailles différentes. De loin, elle suggère un dragon aux écailles rutilantes qui semble s’animer lorsque l’angle des rayons du soleil change.

La Branche Sud est comme une monumentale et exquise sculpture. Pour la construire, il a fallu plus de 6 000 t d’acier qui a été découpé en éléments de toutes dimensions afin de donner au bâtiment cette ondulation rappelant le mouvement des nuages ou de l’eau. Quant au « vide » de l’aile orientale, sa construction a nécessité plus de 8 000 panneaux de verre qu’il a fallu tailler et recouper avec d’infinies précautions pour les ajuster à leurs cadres d’acier de formes diverses et variées. Mais le plus difficile a été la réalisation de l’intersection entre le « vide » et le « plein », à l’extrémité sud du bâtiment, qui a exigé une précision absolue pour que tous les éléments s’imbriquent à la perfection.

La cour intérieure et le passage en pente qui se situent entre les deux ailes ont été dessinés avec la technique xuanran à l’esprit. Dans la cour sont installées douze sculptures représentant les douze animaux du zodiaque chinois.

L’architecte Kris Yao a expliqué qu’il voulait qu’en parcourant la Branche Sud, les visiteurs aient l’impression d’ouvrir un rouleau de peinture chinoise classique, ce qu’il faut évidemment faire avec soin et sans hâte pour bien apprécier la beauté de l’œuvre. Pénétrer dans les halls d’exposition de la Branche Sud donne véritablement une nouvelle appréciation des vertus de la lenteur.

Un des 108 coffrets qui renferment le Soutra tibétain du dragon réalisé en 1669 pour l’empereur Kangxi [康熙] de la dynastie Qing. Calligraphié à l’encre d’or, le soutra est composé de 50 000 feuilles. (AIMABLEMENT FOURNIES PAR LE NPM)

Des espaces d’exposition imposants

Certaines vitrines impressionnent par leur taille. Celles utilisées pour exposer les textiles et l’art bouddhique, par exemple, peuvent faire jusqu’à 7,2 m de haut, ce qui permet aussi d’exposer les rouleaux de peinture les plus longs. La vitrine la plus large, dans la partie réservée aux céramiques, fait 20 m.

Dans certaines salles, de la place a été laissée pour des installations en lien avec les pièces exposées. Ainsi, une petite maison de thé de style Ming s’élève au cœur de l’espace abritant une exposition consacrée à l’art et à la culture du thé en Asie. Quant à l’exposition dédiée aux porcelaines Imari venues du Japon, elle est rehaussée par la présence de la reproduction d’un bateau sur lequel des émissaires de l’empire du Soleil levant se rendirent dans la Chine des Tang.

Le Chou de jade avec insectes, un trésor national particulièrement apprécié des visiteurs et qui est en ce moment visible au musée de Taibao, dispose d’une vitrine ronde conçue spécifiquement pour permettre de l’admirer de tous les points de vue. En octobre, c’est une autre des curiosités les plus célèbres du Musée national du palais, le Jaspe sculpté rappelant un morceau de viande, qui descendra de Taipei.

La Branche Sud dispose de cinq galeries pour ses expositions permanentes, ainsi que des galeries pour les expositions spéciales, les expositions multimédia et les expositions prêtées par d’autres institutions. Au total, dix expositions avaient été programmées pour l’ouverture du musée le 28 décembre dernier.

Etoile du Nord, étoile du Sud

Les terrains qui entourent le site ne sont pas encore complètement végétalisés, certaines essences demandant du temps pour s’épanouir, mais les pluies du printemps devraient accélérer le verdissement.

Pendant ce temps, les travaux d’agrandissement du Musée national du palais, à Taipei, démarrés en 2010, se poursuivent. Ils devraient permettre non seulement l’extension du musée mais aussi la construction d’un espace dédié aux arts de la scène. Le Musée national du palais a été reconnu cette année comme l’un des dix musées les plus visités du monde par The Art Newspaper, une publication londonienne. Au 7e rang, c’est le seul musée asiatique sur la liste.

Le nord et le sud de Taiwan ont désormais chacun une étoile culturelle qui scintille de tous ses feux pour attirer l’attention du reste du monde.

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