02/05/2024

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Renault et San Fu: la lune de miel

02/01/1984

Ce modèle a été fabriqué à Taichung par San Fu.

Certains pays ne laissent pas le monde économique indifférent, Taïwan en est un sans aucun doute. A l'évocation de ce nom, les fabricants français lèvent les bras au ciel, les importateurs se frot­tent les mains, les exportateurs se grat­tent la tête, et Renault arbore le sourire satisfait de ceux qui ont vu juste. Pour ses trois premiers mois à Taïwan, vient de vendre ce qu'elle avait es­compté pour un an, 3 100 véhicules et plus de 1 300 commandes en liste d'at­tente.

Dans les bureaux de Renault de l'a­venue Minchuan à Taichung, M. Robert Guéri, l'artisan de cette réus­site, s'il exulte intérieurement, se garde bien de se laisser aller à l'euphorie devant le visiteur. Ici ces trois mois sont déjà du passé et le futur réserve sans doute des surprises sur un marché aussi inconnu que celui de et où la bataille risque d'être rude. Selon M. Guéri, l'installation de Renault à Taïwan a de grandes chances de réveiller les passions. Le créneau de Renault, c'est le 1 3 sous les apparences de la der­nière née de , 9. Celle­-ci semble concentrer en elle tout les ap­ ports de la technologie moderne en ma­ tière de sécurité, fiabilité, efficacité et confort. Ses concurrentes directes sont les japonaises, particulièrement , les Ford Sierra et Laser, les Vue Loong de Taïwan, qui commencent à s'habiller à la mode, et les Peugeot instal­lées ici depuis 5 ans. Toujours selon M. Robert Guéri, tous ces constructeurs comparés à Renault, sont très en retard du point de vue technologique, surtout les Japonais qui n'ont pas voulu faire d'innovation sur un marché qu'il ne con­sidèrent peut-être pas vraiment.

Il est certain que ce fut là un atout pour Renault qui a pu créer l'événement en arrivant sur le marché. avec un véhi­cule offrant une ligne, une conception et des gadgets nouveaux; le tout bien sûr lié au prestige de la marque française. En concurrence, des voitures soit trop connues, soit trop chères, en effet les vé­hicules d'importation sont fortement taxés de 100% à 160%.

Ce démarrage sur les chapeaux de roue est également l'aboutissement de près de trois ans de préparation et de co­opération avec San Fu. Visiblement, après ses succès d'implantation en Afrique du Sud et aux Etats-Unis, Re­nault a tourna les yeux vers l'Asie, der­nier continent à ne pas posséder d'usine Renault. Le choix de Taïwan comme base d'implantation fut fait en considéra­tion de l'existence de nombreux facteurs favorables. Renault y a trouvé un espace économique en continuelle progression, des infrastructures d'accueil, un climat social sain et un niveau de vie en perpé­tuelle augmentation. Un élément non né­gligeable est aussi l'existence d'une poli­tique d'ouverture et d'aide aux sociétés étangères qui trouve difficilement son égal en Asie.

La chaîne de montage des R9.

Plutôt que de construire sa propre usine, Renault opta pour une cession de licence auprès d'une entreprise locale. Selon le directeur de Renault-Taïwan, nombreuses furent celles qui répondirent à la proposition. San Fu qui fut l'élue était à cette époque dans une mauvaise passe. Coopérant avec les Japonais dans la fabrication de motocyclettes et de petits véhicules de 3 sous la marque Subaru, elle avait vu sa produc­ tion chuter de 15 000 à 7 000 unités en quatre ans. Selon M. Guéri, cette baisse est consécutive au désintérêt des Japo­nais pour cette coopération alors que San Fu avait des qualités techniques et admi­nistratives certaines. Pour San Fu, la pro­position du premier vendeur de voitures européennes fut bien sûr une aubaine parce qu'un nouvel espoir de redémar­rage. En plus de la cession de licence, fut signé entre les deux parties un contrat d'ingénierie qui a eut pour premier effet de faire tourner chez San Fu, entre 1981 et 1983, une quinzaine d'ingénieurs fran­çais. En collaboration avec la société chi­noise, ils ont complètement restructuré l'usine.

Si San Fu a les mains complètement libres, elle travaille malgré tout avec le bureau d'assistance Renault de Taichung. Ce bureau dirigé par M. Robert Guéri est composé de trois ingénieurs et de deux techniciens d'après-vente; il assure une assistance technique, de marchéage et, sans doute, aussi, le maintien de l'es­prit Renault. Outre San Fu, le gouverne­ment paraît enchanté des conditions de coopération et du transfert technologique qui l'accompagne. Tout serait-il pour le mieux dans le meilleur des mondes? Et pourquoi pas! En fait pour le directeur de Renault-Taïwan, les problèmes vont commencer à arriver. Car si le gouverne­ment est très coopératif, les réglementa­tions officielles elles se durcissent. La nouvelle réglementation qui sera mise en vigueur très prochainement imposera un quota plus important de pièces devant être fabriquées à Taïwan. Ce quota de pièces devra être l'équivalent d'au moins 70% du prix de revient du véhicule, or, actuellement quatre-vingts sous-traitants de San Fu fabriquent six cents pièces dif­férentes, soit 55% des pièces du véhicule et les 45% restantes sont importées de France. Un autre problème est de pou­voir tenir la distance. L'originalité du produit a créé la surprise auprès d'un public friant de nouveautés. Cet engoue­ment ne risque-t-il pas de passer aussi vite qu'il est venu? A Taichung, on est conscient du problème, mais on est sûr du produit. Il faut dire que des atouts: outre le prestige lié à la marque française et son prix raisonnable de 389 600 yuans (9 740 dollars américains) mettant hors de combat toutes les voi­tures d'importation largement taxées, 9 fabriquée à Taïwan a de loin la meilleure note selon un document in­terne de chez Renault qui fait état des qualités des R9 fabriquées à l'étranger.

L'importance est ici donnée aux média et particulièrement aux conces­sionnaires. Suite à l'exposition Eurotec qui s'est tenue à Taïpei en mai 1982 et où Renault a exposé une Formule 1 qui a eu un grand succès, de nombreux vendeurs, une centaine, se sont proposés à devenir concessionnaires Renault.

Une aubaine pour qui a pu à loisir faire son choix et pousser les élus à investir dans des magasins, des ateliers, des salles d'expositions. Actuellement, une trentaine de points de ventes appar­tenant à dix vendeurs principaux se par­tagent le marché, et un projet tend à dou­ bler ce chiffre l'année prochaine.

Il est raisonnable de penser que Re­nault en venant s'installer à Taïwan espère bien concurrencer les Japonais sur leur propre terrain, c'est-à-dire en gros dans le triangle Thaïlande­ Philippines-Japon d'autant plus qu'ici toutes les conditions sont réunies: un gouvernement qui pousse à exporter, une situation géographique privilégiée et tout le climat d'un pays qui exporte, bon an mal an, pour plus de vingt milliards de dollars de produits. Mais non, chez Renault-San Fu, on ne parle pas d'expor­ tation devant le visiteur et comme l'a dit M. Bernard Hanon, P.D.G. de Renault, lors d'une entrevue avec M. Sun Yun­-suan, premier ministre de de Chine, "II faut d'abord conquérir le marché de Taïwan, et les exportations ne seront faites qu'en fonction du résultat des ventes à Taïwan". Ces espoirs de ventes sont de 10% du marché d'ici un an, c'est­-à-dire 16 000 véhicules par an, ce qui constitue la capacité totale de production de R9 de la chaîne San Fu. A titre de comparaison, Peugeot produit ici 5 000 véhicules par an et Yue Loong, la marque nationale, 40 000 véhicules par an. Il faut dire que, si Taïwan reste sous­ motorisée (7,38% des familles possèdent une voiture contre 92% en France), le marché lui est en très nette progression surtout depuis que le gouvernement a re­lâché l'imposition fiscale sur les véhi­cules fabriqués à Taïwan et a permis ainsi une relance de la production. Le parc automobile va selon toutes prévisions passer de 90 000 à 100 000 véhicules en un an.

Un beau départ en somme pour qui, avant de s'installer à Taïwan, y plaçait péniblement ses quarante véhi­cules par an. La prochaine grande offen­sive, c'est pour dans deux ou trois ans avec 25 ■

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