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Le confort selon l’art : L’histoire du meuble chinois

01/11/1985
Une chaise d’intérieur, de style des Ming. Elle fait marquee dans l’histoire de l’ébénisterie chinoise.

Selon la légende, un homme, du nom de Yeou Tchao Che [ 有巢氏 ] enseigna aux Chinois, il y a plus de cinq mille ans, l’art de se fabriquer un logis en bois dans les arbres afin de mieux se protéger de la faune suvage. Et plusieur siècles après, l’Empereur Jaune [ 黃帝, Houang Ti ], une autre figure légendaire, leur apprit l’art de construire des palais sur le sol.

Les documents historiques définis ont finalement établi que, sous la dynastie Chang (XVIe-XIe av. J.-C.), la menuiserie était déjà fort bien développée en Chine. Et depuis, l’architecture chinoise est attestée par des ouvrages historiques, des documents d’archéologie, des comptes-rendus qui nous laissent la possibilité d’effectuer des études plus profondes.

Quant aux meubles qui aménageaient les intérieurs de ces anciens bâtiments, il existe peu d’informations, écrites ou autres. Même Marco Polo, un grand observateur qui, après son périple de 26 ans à travers tout l’Orient, dont , s’évertua en descriptions détaillées du grand palais du grand khan* mongol, Khoubilaï khan, n’a pas fait une seule mention d’un meuble.

Dans ancienne, les meubles étaient essentiellement considérés pour leur valeur utilitaire, et leur fabrication était principalement artisanale. C’est pourquoi, on n’en trouve guère de descriptions détaillées. C’est là une grande lacune pour suivre l’évolution de l’ébénisterie chinoise. On peut cependant conclure qu’à partir de l’art de travailler le bois qui s’est vite développé en Chin, le véritable goût du meuble dont nous sommes si familiers aujourd’hui est un aspect relativement récent dans la longue histoire de Chine. Il est évident que la meilleure façon d’étudier le mobilier chinois est de pouvoir l’observer concrètement. Si cela est possible pour les deux dernières dynasties Ming et Ts’ing, une période qui couvre environ six cent ans, cela ne l’est plus avant, car ces meubles anciens qui nous sont parvenus sont fort limités et disséminés de par le monde généralement dans des collections privées ou des musées.

Du premier millénaire de notre ère, tandis qui l’usage du meuble et son aménagement entraient dans une période d’importante transformation, il n’existe pratiquement plus rien à observer. La raison, plus que tout autre chose, en est que le bois ne possède pas les mêmes qualité de conservation que d’autres matériaux comme le bronze, le jade ou la céramieque, qui nous sont parvenus dans un assez bon état. Heureusement d’autre sources sont à notre disposition pour acquérir de meilleures connaissances sur l’évolution de l’ébénisterie chinoise. Parmi elles, ce sont les anciennes peintures, les décorations murales et les frottis sur pierre et surtout certaines d’ébénisterie issues d’excavation de sépulture.

Les anciens Chinois enterraient leurs morts avec les objets (ou leurs modèles) qui pouvaient avoir une utilité dans l’autre monde. Dans le cas d’une famille moins aisée, cela pouvait se résumer à quelques objets de prmière nécessité, alors qu’un noble ou un membre de la classe dirigeante était enterré avec toute la maisonnée, y compris les esclaves, dans la haute antiquité.

Parmi les meubles retrouvés dans ces sépultures mises au jour à travers , une partie est généralement de plus petite taille et faite d’argile pour les besoins de la cause. Cela nous permet malgré tout d’éclairer nos connaissance sur l’ébénisterie de cette période dont nous avons un modèle.

L’ébénisterie, relativement tardive en Chine, est assurément née du goût et des habitudes. Or la civilisation de la dynastie Chant était assez avancée pour avoir connu le coulage du bronze, l’astronomie, le tissage de la soie, la construction de palais et... la menuiserie. Alors, pourquoi pas les meubles?

Si ti eul tso [ 席地而坐, s’asseoir sur une natte posée par terre ] était la coutume de tous, noblesse et commun. L’usage voulait que l’on s’assît sur les talons les jambes repliées sous soi et le haut du corps droit (dans la position qui est improprement dite d’origine japonaise et appelée seiza [ 靜坐, en chinois tsing-tso ]. Un accoudoir était parfois utilisée pour le bras gauche. Dans des situations moins formelles, les hommes pouvaient s’asseoir les jambes croisées et les femmes avec les jambes étendues sur le côté. S’asseoir avec les jambes pendant verticalement devant soi, comme c’est depuis longtemps la coutume en Europe, était irrévérencieux, comme semble l’indiquer le terme chinois originel qui désigne une chaise, hou tchouang [ 胡床, siège barbare ]. Il suffit de noter que la coutume chinoise de s’asseoir sur des nattes à même le sol a prévalu pendant des siècles et a eu une grande influence sur l’évolution du meuble en Chine.

Différents passe-temps des mandarins selon une peinture de la dynastie Ts’ing.


Après la dynastie Chang, sous la dy­nastie Tcheou (XIe siècle -256 avant notre ère), deux pièces de mobilier sont historiquement intéressantes et donnent des indications précieurses précieuses sur le niveau de la menuiserie. A cette époque se trouvait divisée en de nombreux Etats rivaux. Cette période de troubles fut néanmoins très riche dans le domaine culturel. Dans le domaine de la menuiserie, deux personnages de l’un de ces Etats féodaux, le Lou [ 魯 ], la patrie de Confucius, sont illustres.

Kong Chou-pan [ 公輪班 ], dit aussi Lou Pan [ 魯班 ], était un menuisier si extraordinaire qu’il devint trés célèbre. Les générations postérieures en sont venues à le reconnaitre comme le saint patron de la menuiserie chinoise. Tous les ans, le 13 du Ve mois (lunaire), des cérémonies spéciales honorent sa mé­moire. Un menuisier qui a réalisé une pièce extraordinaire est vite honoré du titre de Lou Pin. Le dernier empereur mongol en Chine, Toghan-Timour, qui par son intérêt pour la fabrication de ma­ Chines et autres en bois fut surnommé l’« empereur-menuisier», ou Lou-pan-ti [ 魯班帝 ].

La classique taoïste, le Tchouang-tseu, a donné un aspect intéressant de la menuiserie sous les Tcheou. Il s’agit du menuisier K’ing [ 慶 ] qui était un fonctionnaire chargé de l’ameublement de l’Etat de Lou.

« Je ne suis qu’un artisan, disait K’ing. De quel art pouis-je donc parlé, sinon du mien. Si je me prépare à fabriqur un « porte-cloches », je prends soin de rassembler toutes mes forces, J’ai d’abord besoin de jeûner pour me vider l’esprit. Au troisième jour de jeûne, je ne m’occupe plus de félicita­tions ou de récompenses ;au cinquième jour, je ne pense plus aux critiques ni aux éloges; au septième jour, j’oublie que j’ai un corps et quatre membres. Alors, le seigneur et sa cour n’existent même plus pour moi. Mon esprit peut enfin se concentrer comme les distractions extérieures s’évanouissent.

« Je pénètre dans la forêt sur la mon­tagne où j’observe la nature que le Ciel a dotée d’arbres. Là, j’entrevois le « porte­ cloches » qui prend forme devant moi. Et tout ce qui me reste à faire est de me menre à la tâche, sinon je ne ferais rien. De cette façon, je puis m’inspirer des essences du Ciel, et l’on pourra dire que les miennes sont l’œuvre d’un esprit ou d’un dieu. »

Ces porte-cloches sont utilisés lors de cérémonies cultuelles chinoises. Du passage précédent, on peut voir que l’art de la menuiserie en Chine était non seulement fort apprécié à cette époque si lointaine mais que ses technique l’étaient aussi. Malheureusement, le mobilier que Lou Pan ou K’ing ont pu fabriquer doit être imaginé, car il n ‘y a rien qui nous soit parvenu.

Dans une tombe découverte dans Ia région de Tchangcha (province de Hounan), on a retrouvé une table laquée et divers accoudoirs qui datent du Ve-IIIe siècles av. J.-C. Ces pièces ont toutes la particularité d’avoir les jointures en tenons et mortaises, la caractéristique du mobilier chinois. En effet, cette technique, telle qu’elle est appliquée en ébénisterie chinoise, est tout un domaine en soi. Elle s’est développée à un tel degré que toutes les pièces pouvaient être assemblées sans clou, ni vis ni même colle, dans certains cas.

Il est probable que l’Europe n’ait jamais approché dans ce do­maine précis. Non seulement, la fixation chinoise excella par la robustesse, mais on faisait des réparations et changeait plus facilement les pièces abimées. Les meubles retrouvés dans la tombe près de Tchangcha étaient tous laqués. Faite de sève d’« arbre à vernis », comme on l’appelle en Occident, cette laque ne doit pas être confondue avec la fameuse laque rouge que l’on utilisa beaucoup plus tard. Elle était couramment utilisée sous la dynastie Chang pour des objets destinés au culte de l’empereur légendaire Chouen (XXIIIe s. av. J.-C.). La pose d’une telle laque chinoise exigeait beaucoup de soins afin d’éviter que les couches successives ne se craquèlent en séchant. A la fin, la laque était polie jusqu’à l’obtention d’un lustre, une méthode qui s’est maintenue pour ce mobilier de haute qualité, même aujourd’hui.

On a également retrouvé dans cette tombe de Tchanacha, un châlit en bois de plus de deux mètres de long, laqué sur le dessus et les six pieds aux bordures en métal. Ce type de meuble pour s’asseoir était très courant vers la fin de la dynastie Han (IIe siècle de notre ère, mais plus rare sous les Tcheou.

Musiciennes de la cour, peinture des T’ang.

Sous les Han (206 av. J.-C. – 220 ap. J.-C.), un mobilier plus varié s’est répandu tandis que sa fabrication faisait des progrès, Le plus significatif est le stylecaisse à partir d’anciens modèles remontant à plus de trois milles ans.

Au début du XXe siècle, une plaque de bronze, datant du début de la dynastie Tcheou (XIe s. Av. J.-C.), a été découverte dans la province de Chansi. Reproduction d’un orginal en bois, sa forme globale a relativement peu changé pendant trois milles ans. Bien que la coutume sous les Han fût encore de s’asseoir sur une natte posée à terre, les sièges en style caisse ou à plat commençaient à se répandre.

Ce style de base était employé pour les châlits, les lits, les tables, que leurs dimensions distinguaient. Deux fois plus long que large, c’était un lit; petit et carré, un siège pour une personne. De tels meubles sont illustrés dans les peintures de Kou K’aï-tche [ 顧愷之, v345-411 ] et Yen Li-pen [ 閻立本, m.673 ]. Sur un châlit, on pouvait disposer une table pour manger ou lire. Quand finalement de plus hautes chaises devinrent à la mode, le châlit fut à son tour élevé pour servir de table, tel qu’il en resort de la peinture des T’ang, Musiciennes de la cour (cf. Infra). Bien que sous la dynastie Han, la chaise ne fût pas encore d’un usage général, il y a lieu de penser qu’elle était déjà connue, et peut-être même plus tôt. (Comme mentionné plus haut, la façon de s’assesoir sur un siège élevé aurait constitué une atteinte aux convenances de l’Ancienne Chine.)

Un petit bronze mis au jour dans la province de Honan, en date du Ier siècle avant J.-C., montre une personne assise sur un siège avec les jambes croisées. Et il est tout à fait possible que les Chinois, au cours de l’évolution précoce de la chaise, s’y asseyaient en croisant les jambes plutôt qu’en des positions conventionnellement acceptées postérieurement. Cela est confirmé par le fait que certaines chaises, comme l’illustrent des frottis de pierre et des articles funéraires, étaient quelque peu plus larges que celles de temps ultérieurs.

D’aucuns on déclaré un peu rapidement que les Chinois, sous la dynastie Han et même avant, ne connaissaient absolument pas la chaise telle que nous la connaissons. La chaise était-elle un objet courant pour certains dans l’empire Han ? selon différentes preuves, il est cependant certain que son emploi était très répandu quelques siècles plus tard. Les auteres pièces d’ébénisterie de l’empire Han sont relativement rares. Quelques accoudoires, de petites tables et des paravents laqués mis au jour sont tout ce qui nous possédons.

De la fain des Han aux Tang, le mobilier chinois voit un développement extraordinaire. Des pièces particulières du mobilier tangique (des Tang) sont conservées au Shosoin à Nara (Japon) où la plupart de ces dons d’époque pro­venaient des empereurs chinois. D’autre part, i1 y a toujours les références pictu­rales et historiques de cette époque. Les peintures de Kou Kaï-tche, de la dynastie Tsin (265-420), et de Yen Li-pen, du début des Tang (VIle s.), donnent un aperçu net du style à plat. Sous les Tang,

Le moine japonais Ennin [ 円仁 ], dans ses récits de voyage en Chine, fait mention de la chaise qu’il appelle déjà de son nom moderne [ yi,椅 ]. Ce qui est fort intéressant, la dynastie Tang, qui est une période de transformation pour le mobilier chinois, ne s’est pas débarrassé de la coutume de s’asseoir sur des nattes au sol. Comme la chaise était devenue populaire, elle a maintenu les deux usages. En fait, aussi tardivement que la dynastie Yuan* (XIIIe s.), il n’était pas du tout impoli de s’asseoir sur le sol, comme l’indique Marco Polo décrivant les grands préparatifs pour le repas à la cour de Khoubilai khan.

« On disposa les tables de sorte que le Grand Khan, assis sur son trône élevé, puisse voir tout le monde. Cependant, cela ne vouloit pas dire que tous ceux qui s’assemblaient en de telles occasions pussent être servis à même ces tables. La plus grande pattie des officiers, et même des nobles, au contraire, mangeaient assis sur des tapis disposés dans les salles ... »

La dynastie Tang fut l’âge d’or culturel de la poésie, des lettres, des beaux-arts et des arts pratiques, et l’ébénisterie, dans l’art et le style, n’en a pas été exclue. Les réunions sociales sont devenues populaires, et tout naturellement le mobilier y joue pleinement son rôle. Son élégance est fort bien illustrée dans le tableau Musiciennes de la cour [ 宮樂圖, Kong-yué T’ou ]. Les interprètes sont assises sur des tabourets en bois recouverts de coussins. Bien que le dessin des pieds des sièges soit un peu exagéré, l’ensemble est corretement reproduit. On dit même que sous les Tang, un tabouret était un pédestal idéal pour une femme assise, car il en soulignait la courbe du dos, du cou et des épaules  à son meilleur avantage sans compromettre sa finesse. La table, une parfaite forme du style caisse, joue de pair avec les tabourets.

Salon de style, collection impériale mandchoue. (Collection du Musée national du Palais, Taïpei)

Une autre évolution du style fort intéressante, qui semble avoir débuté aux débuts de la dynstie Tang, est la table, généralement à huit pieds de forme évasée. Des illustrations de ce style sont consevées dans des collections d’art privées au Japon. Un oeuvre du lettré-peintre Wan Weï  [ 王維, 699-759 ], conservée au Musée municipal d’Osaka (Japon), donne une brillante image de ce style.

La dynastie Song (960-1279) a continué cette lancée avec une renaissance culturelle. Le style de l’ébénisterie est devenu plus élégant, plus raffiné. Nous avons de nombreuses références sur les diverses pièces d’ébénisterie par les écrits historiques de cette dynastie. Certaines pièces sont fabriquées en bois de santal poupre de haute valeur et d’autres en marquetterie au nacre. Malheureusement, peu de meubles de cette époque nous sont parvenus.

En plus du perfectionnement des styles précédents, la dynastie Song a eu, ses propres modèles et styles. Une inno­vation est cenailiement la « chaise du vieil ivrogne », ou tsoueï-wong tchou-yi [ 醉翁諸椅 ]. Bien qu’on l’accrédite off­iciellement à la dynastie Ming, son proto­type a pris forme sous les Song. Issue du ‘siège barbare’, elle offrait un angle d’inclinaison plus grand que l’habituel et possédait en haut du dossier un repose­ tête. C’est en quelque sorte une version chinoise de la chaise longue occidentale. Fut aussi inventée la table à coulisses que l’on trouve aujourd’hui dans les salles à manger occidentales. Une ou plu­sieurs rallonges pouvaient être ajoutées au centre de la table dont les bouts s’écanaient pour en augmenter à volonté la taille selon le nombre de convives. Sous les Ming, cette table fut passable­ment critiquée pour être trop lourde, onéreuse et peu pratique. On entend la même chose de nos jours.

La dynastie Yuan (1271-1368), d’origine mongole, fut de courte durée pour être restée moins d’un siècle sur le trône chinois. Toutefois son influence sur le mobilier chinois fut la pierre de touche avant les Ming, période où l’ébé­nisterie atteint son apogée en Chine.

La dynastie Ming 0368-1644) a ac­cordé la plus haute importance à la sélection des bois et à l’ébénisterie, ainsi qu’à la fixation des styles, une révolution en soi. Recherchant le pratique et les justes proportions, avec un minimum d’orne­ ments, l’ébéoisterie était comme deve­ nue l’expression de la philosophie de la classe des, lettrés, éprise du naturel et de la sinlplicitédes choses qui l’entouraient. Cela ne veux pas dire que les meubles décorés ou sculptés avec extravagance n’existassent point sous les Ming. Ce­ pendant, ce sont les nouveaux styles qui couronnent les Ming comme l’âge d’or de l’ébénisterie chinoise.

Connu pour ses idées sur la simpli­cité et son goût pour l’aménagement in­térieur d’une maison, Li Yu [ 李漁, 1611-1676 ], de la fin des Ming, était un lettré pauvre qui cultiva la beauté de la nature (ce qui n’est pas rare chez les lettrés chinois) et exprima un profond dégoût pour l’étalage de la richesse qui, disait-il, en détruisait les valeurs réelles. Hien-tsing-eou Ki [ 聞情偶記 ], un de ses ouvrages, est un condensé sur presque tout, depuis l’art d’arranger les fleurs jusqu’à la cuisine, les antiquités. Plu­sieurs chapitres traitent de l’ameuble­ment et de son aménagement à l’inté­rieur d’une maison. A propos de prin­cipes pour aménager sa maison, on y lit :

« Eviter la frénésie du luxe. Ce qui coûte peu a souvent plus de valeur... Le luxe et la cherté sont ce qui doit être évité le plus possible dans tout bâtiment. Ainsi, le peuple mais aussi les princes et les hauts fonctionnaires chérissent les vertus de la simplicité. Ce qui est le plus important dans une maison n’est pas la somptuosité, mais le raffinement; non la décoration très sophistiquée, mais la nouveauté et l’élégance. Beau­coup adorent déployer des splendeurs prin­cières non parce qu’ils les aiment. mais parce qu’ils manquent d’originalité. En plus de vouloir faire de l’étalage. ils n’arrivent même plus à apprécier autre chose... »

Les principes formulés par Li Yu s’appliquent également à l’ébénisterie et caractérisent en fait l’attitude qui préva­ lait dans la classe mandarine de ce temps­ là. Li Yu a particulièrement insisté sur le côté pratique des meubles :

« S’agissant de commode, il n’y a pas vraiment de connaisance ou de talent à avoir. Celles qui peuvent contenir le plus grand nombre d’objets sont les meüleures. Ces grandes commodes qui contiennent peu ne sont pas aussi bonnes que des petites aux côtés bombés. Une commode n’est prtitilple que si elle a plusieurs étages de tiroirs. » Et poursuivant sur les tiroirs :

« Les tiroirs sont une chose que, nous ne saurions avoir de trop; leur utilité est infinie. On a besoin de diviser tous les grands tiroirs en petits compartiments pour y menre séparément des objets divers. Un exemple est le cabinet de l’herboriste [chinoi] disposé selon un système de division venu de l’antiquité. Chaque chose est placée où elle doit être. Si le grand médecin chinois d’autrefois, Pien Ts’iué [ 扁鵲 ]**, n’avait pas eu un tel cabinet, il n’aurait jamais eu le temps de soigner ses patients. Et un tel meuble est utile non seulement au médecin mais à tout le monde, étudiant et lettré tout aussi bien. Il épargne à tous la gêne de toujours être en train de chercher quelque chose. »

Peut-être, la plus belle démonstration du pratique et de l’imagination de Li Yu est sa grande invention, la thermocathèdre*** ou siège chauffut. Dans an­cienne Chine, il n’existait pas de chauf­fage central, et on disposait de petits  braseros dans différents coins d’une pièce­ pourla chauffer. Cependant, cela coûtait cher en carburant et remplissait la pièce de cendres.

Sièges de salon, style imperial mandchou.

Dans une pièce ayant seulement deux petits braseros, comme l’a remarqué Li Yu, « le corps humain se trouvait en hiver, les membres au printemps. Et les oreilles, les yeux, le coeur et l’esprit ressemblaient à des navires en dérive. » Aussi conçue-il la thermocathèdre. Malgré une longue description, il explique complètement. C’est un très large fauteuil droit et fermé dont le dessous et les accoudoirs sont creux. Ces espaces sont assez larges pour y placer des braises (nom fumigènes). En berçant tout le corps dans la chaleur, on peut dire que le carburant a un plus agrand rendement. Li Yu proclamait que l’on pouvait maintenir la chaleur toute la journée avec quatre petites braises seulement. On pouvait lire, dormir, manger et même à l’occasion rendre visite sur sa thermocathèdre. Il était prévu dans sa fabrication des anses pour y introduire deux traverses. C’était alors une chaise à porteurs. Avec éloquence, il clamait que ce siège pouvait prendre la place du jeune fils que les parents installaient dans leur lit pour le réchauffer ou de la jolie femme qui prêtait son corps chaud en hiver.

Les recherches de style à la fois pratique et esthétique de Li Yu dans l’ameublement reflétaient assez le goût de la classe mandarine des Ming. Beaucoup de ces styles mobiliers se sont maintenus jusqu’à nos jours, et ils ont assuréemnt influencé les plus grands ébénistes europeéens, comme Thomas Chippendale.

En général, les styles du Sud (de ) tendent à être plus sophistiqués que ceux du Nord qui sont plus simples et plus sobres. Le mobilier du climat froid de est surtout caractérisé par le kang [ 炕 ], ce vaste châlit chauffant en hiver, pratique et économique, qui a tenu de chauffage central pendant des siècles. (II n’a aucun rapport avec la ther­mocathèdrede Li Yu.)

Chauffé par toute une série de con­duits reliées à un foyer ou bien par la consommation lente de braises ardentes disposées en dessous, le kang était le centre de gravité de toute une famille pendant la saison froide. Généralement construit de briques réfractaires sur lequel on plaçait des nattes dessus pour boucher les orifices d’air chaud, on pou­vait y installer de petites tables pour manger, lire et écrire. Le kang était assez grand pour que toute la famille puissent dormir dessus dans des édredons. Tout autour, il y avait des petits cabinets pour ranger différentes affaires. En Chine du Nord pendant les mois froids les plus ri­goureux, on pouvait ressentir une différence de température d’une dizaine de degrés à quelques pas du kang.

La dynastie Ts’ing (1644-1911) qui succéda aux Ming imposa à les mœurs mandchoues. Au début, les nou­veaux maîtres étrangers tentèrent d’in­terdire les réunions de lettrés par crainte de la classe éduquée Han**** qui pouvait conspirer contre eux. La domination mandchoue généralement oppressive a surtout tendu à jeter un froid sur les arts, dont l’ébénisterie. Non pas que les ébé­nistes n’aient pas continuer leur envolée avec le même talent, mais parce que la dynastie Ts’ing avait un goût plus faible, moins esthétique pour cet art lue ses prédécesseurs. Ces manques à gagner furent compenser par la fioriture exces­sive, ce qui était assurément beaucoup moins désirable. Elle ne figurait pas par­ tout, bien sûr, de même qu’il est faux de dire que toute chose créée sous les Ming était un chef-d’œuvre d’esthétique; mais c’est généralement le cas.

Cependant, le plus grand nombre de pièces d’ébénisterie qui nous sont parve­nues provient de la dynastie Ts’ing, plus que de toute autre période de l’histoire de Chine. Cette source a considérablement étendu les connaissances sur l’ébénisterie chinoise.

Quelques grands romans écrits sous les Ts’ing donnent des descriptions complètes des intérieurs de maison, comme cette description du grand salon d’une famille bien nantie dans Rêve du pavillon rouge [ ou Hong-leon Meng, 紅樓夢 ], de Ts’ao Siué-k’in [ 曹雪芹, m. 1764 ].

Guéridon en bois de santal rouge, style des Ta’ing. (Collection de l’auteur)

« En entrant dans la salle principale, on aperçoit au-dessus de la ligne deux yeux, une tablette en bois qui accueille le visiteur. Son corps, de couleur cuivre avec des dragons sculptés, a une large base verte sur la­ quelle sont inscrits trois grands caractères, Jang Hi Tang [ 榮喜登, salle du Bonheur et de ]... Sur l’autel en bois de santal rouge, sculpté de dragons écornés, est posé en son centre un ancien récipient en bronze de plus de trois tcheu (pieds) de haut. Derrière, une peinture à l’encre d’un dragon. D’un côté sur l’autel, est placé un vase de cérémonie gravé et de l’autre un bol en verre ... »

Dans cette brève description, on a précisé la place des objets sur l’autel de la pièce principale d’une grande maison. Cet autel n’est pas nécessairement l’autel des ancêtres : sa forme longue et étroite et plutôt haute qui supporte plu­sieurs antiquités fait croire à un autel or­dinaire. Le bois de cet autel « en bois de santal rouge » était traditionnellement le bois le plus précieux à disposition des ébénistes. La plupart des bois de santal rouge ne doivent pas être confondue avec le bois de santal odorant que l’on brûle comme encens et qui était importé de l’extérieur de ’était très probablement une espèce de ptérocarpe ou bois de corail (padouk pour les ébé­ nistes). Ce bois est d’un brun foncé, très lourd, à gros grain. Quand il est frotté à l’huile, il prend cette teinte violacé foncé, d’où son nom (rouge). Pour les familles Qui pouvaient se le procurer, les meubles les plus importants, comme cet autel mentionné ci-dessus, étaient fait de ce bois noble.

Un autre bois plus répandu pour des meubles de haute Qualité et d’un prix très élevé, est le bois de rose, ou houa­ li-mou [ 花梨木 ] en chinois. Aussi im­ porté de différents lieux dont les espèces sont difficiles à différencier. Le bois de rose est très dur, très dense, à grain plus fin Que le bois de corail (ptérocarpe). Selon son âge, sa qualité et son fini, la couleur du bois de rose varie du jaune miel aux diverses nuances de l’orangé.

de l’Opium***** éclata en 1840 et atteignit son point culminant avec le sac de Pékin par les forces européennes. Cela a non seulement provoqué la perte d’une immense partie des trésors accumulés sous les dynasties chinoises successives, mais a auussi jeté un souffle nouveau sur l’esprit de créativité chinois. n’est pas encore sortie de celte épreuve qui précéda la chute de la dynas­tie Ts’ing, au début du XXe siècle. L’ébénisterie, comme beaucoup d’autres arts chinois, est devenue un art de pure forme, manquant de cette créati­vité dont elle a tant bénéficié.

Les styles et décorations occidentaux se sont maintenant mélangés avec lès chinois. Un observateur européen décla­rait vers 1900 que ce que l’on pouvait voir dans beaucoup de maisons chinoises était « un mobilier hybride qui n’apparte­nant à aucun hémisphère était une combi­naison de la laideur des deux. » Et le der­nier chapitre de l’ébénisterie chinoise de l’ère dynastique prenait fin.

Ces toutes dernières années, des col­lectionneurs et des connaisseurs ont eu un regain d’intérêt pour l’ébénisterie Qui atteignit son apogée sous les Ming et fut si fameuse. Peut-être est-te trop tôt pour l’affirmer, l’avenir du meuble chinois rayonnera sûrement à nouveau à partir des chefs-d’œuvre de conception simple et fonctionnelle des Ming. ■

*Dynastie Yuan : ou dynastie mongole régna sur de 1271 à 1368. Ses souverains mirent fin à la dynastie nationale Song en 1279 et fut chassée de Pékin vers le nord de par l’armée Ming en septembre 1368. La dynastie Yuan fut vaincue par le général chinois Lan Yu en 1388, mais le khan mongol Togouz-Timour (ou mieux Teugus-Témur) (1342-1389) réussit à fuir à Karakorum où il fut assassiné au milieu de sombres luttes intestines. (Cf. liste des grands khans mongole, note, p.11)

**Pien Ts’iué, autre nom de Ts’in Yué-jen [ 秦越人 ], célèbre médecin chinois de l’époque des Printemps et Automnes (722-481 av. J..-C.)

***Thermocathèdre : néologisme pour définir ce siège particulier dressé comme une cathèdre [ du grec : thermos, chaud + kathecdra, siège à dossier ].

****Han : (pron. hrann) du nom du plus long empire (dynastie) de Chine, ce terme désigne aussi l’élément chinois proprement dit par rapport aux autres minorités nationales vivant en Chine.

***** de l’Opium s’est terminée par le traité de Nankin qui céda l’île de Hong-kong au Royaume-Uni et ouvrit cinq ports au commerce extérieur (Canton, Swatow, Amoy, Changhaï et Tientsin). Pendant la révolte des Taïping, éclata en 1857 une nouvelle guerre taïwano-européenne avec la prise de Canton (1857) et le traité de Tientsin (860). Le non-respect des termes de ce traité détermina une action militaire directe par un corps franco-britannique. Après la victoire de Palikao. il s’empara de Pékin et en fit le sac qui coneïsta notamment au pillage du Palais d’été et de son incendie (1860). La paix revint avec le trailé de Pékin entre et les puissances occidentales intéressées, France. Grande-Bretagne, Etats-Unis et Russie.

 

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