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La charmeuse de jade

01/07/2009
Jim Hwang
PHOTOS AIMABLEMENT FOURNIES PAR RITA CHANG


>> Avec une pointe de modernité, Rita Chang redonne son élégance au jade ancien


Rita Chang.
(HUANG CHUNG-HSIN / TAIWAN REVIEW)


S

ymbole de noblesse, de perfection et d’immortalité, le jade occupe une place particulière dans la culture chinoise. On le sculpte pour former des ustensiles rituels, des sceaux, des tabatières et des porte-pinceaux. Considéré comme l’essence du ciel et de la terre, le jade a aussi une fonction funéraire : il était de coutume de placer une cigale en jade fin dans la bouche du défunt, en signe de renaissance.

On aime aussi porter des ornements en jade, censés protéger du malheur. Ce faisant, on améliore aussi le lustre et la couleur du jade, qui absorbe l’huile de la peau. Les cabochons de jade parent chapeaux et ceintures, sont incrustés dans le manche des épées ou façonnés en épingles à cheveux et pendentifs. Si son travail peut s’avérer complexe, les techniques de fixation du jade à un support quelconque — coiffe, ceinture ou collier — sont, elles, généralement simples : il est enfilé sur des cordelettes et souvent associé à des nœuds chinois. De ce point de vue, les bijoux en jade créés par Rita Chang, à Taipei, sortent de l’ordinaire.

S’écartant du style traditionnel, Rita Chang ajoute à ses créations d’autres pierres précieuses et semi-précieuses, comme les diamants, les rubis, l’onyx noir et l’agate rouge, et assemble les différents éléments à l’aide de fil d’or ou d’argent. De ces combinaisons naissent de petits accessoires permettant de porter une pièce de jade en pendentif ou en broche, ou bien des montages plus élaborés, par exemple un papillon doté d’ailes et d’antennes mobiles. Quel que soit le design, le jade capte le regard. « Chaque pièce de jade possède sa propre personnalité, dit Rita Chang. Je me sers simplement d’autres matériaux pour la mettre en valeur. »


Extatique, jade blanc de la dynastie Qing (5,6 cm de diamètre) avec jadéite verte, or blanc et corindon rose.

Sa pierre de prédilection est le jade blanc des dynasties Ming (1368-1644) et Qing (1644-1911), des pièces collectionnées par son époux Yang Ping-shih. Ce professeur d’entomologie à l’Université nationale de Taiwan, à Taipei, a commencé ses acquisitions il y a une trentaine d’années, quand il a décidé d’utiliser des papillons et des cigales en jade pour illustrer un cours sur la place des insectes dans l’art. « J’ai pensé qu’il serait plus amusant de laisser mes étudiants manipuler ces petits objets plutôt que de simplement leur montrer des photos. » S’il n’est pas dit à quel point cette méthode pédagogique a séduit les étudiants, celle-ci a en tout cas insufflé à Yang Ping-shih la passion des objets en jade.

A cette époque, même s’il multipliait les conférences et les articles consacrés aux insectes ou à l’environnement pour alimenter son « budget jade », son salaire de jeune professeur ne lui permettait de s’offrir que de petites pièces de jade blanc des dynasties Ming et Qing, meilleur marché que celles de dynasties plus anciennes. Les principaux collectionneurs se désintéressaient de ces objets qui inondaient alors le marché et s’échangeaient pour seulement quelques milliers de dollars taiwanais pièce. Aujourd’hui, toutefois, leur prix a décuplé et les pièces de qualité se font rares.



La chance se tient devant vous
, jade blanc de la dynastie Qing (5,8 x 5,8 cm), avec rubis, or, émeraude et diamant.


Les premières années, Yang Ping-shih n’a en rien été encouragé par son épouse. « Je n’y voyais aucun intérêt, confie cette dernière. Cela me rendait folle à chaque fois qu’il dépensait son salaire en petits morceaux de pierre blanche inutile. »

Pouvoir mystérieux

Est-ce le pouvoir mystérieux du jade ? Toujours est-il que Rita Chang s’est peu à peu habituée à voir ces petits objets un peu partout dans la maison. Elle a commencé à écouter son mari lorsqu’il parlait du jade, a appris à en estimer la qualité, en un mot, à l’apprécier. Courant désormais à deux les antiquaires et les marchés spécialisés, le couple ne tarda pas à amasser des centaines de pièces, la plupart gardées précieusement dans des boîtes de velours et ne sortant qu’en de rares occasions, pour être montrées aux autres membres d’un club de collectionneurs. Puis, Rita Chang caressa l’idée d’exercer sa créativité sur celles qui se prêtaient le plus à des modifications.

Elle utilisa un temps des cordelettes, mais abandonna vite cette approche. « La plupart des bijoux en jade vendus ici se ressemblent tous, dit-elle. Le style est très chinois et présente bien, mais est peu varié. » Elle décida bientôt d’utiliser d’autres pièces précieuses et du métal pour « habiller » le jade. La conjugaison des différents matériaux et couleurs donnerait, pensa-t-elle, un nouveau visage au vieux jade blanc. « Toutes les pièces sont centenaires et représentent un morceau d’histoire. Aussi, ma règle numéro un est de ne rien entreprendre qui pourrait les dénaturer. » En clair, elle ne perce pas de nouveaux trous, ne retravaille pas la pierre et n’utilise pas de colle. Toutes les pièces sont ainsi amovibles et fixées aux autres éléments à l’aide d’un orifice déjà percé ou d’une bague métallique qui ne les endommage pas.

Rita Chang conçoit le design mais ne se charge toutefois pas elle-même de son exécution. Des études de statistiques à l’Université nationale Chung Hsin, à Taichung, et 28 ans de carrière chez Yang Ming Marine Transport ne lui ont pas laissé le temps pour un apprentissage artistique formel. Jeune fille, elle dessinait ses propres robes mais confiait leur réalisation à des tailleurs professionnels. De la même manière, lorsqu’il a fallu trouver quelqu’un capable de fabriquer les créations qu’elle avait imaginées, elle alla frapper à la porte d’une bijouterie de son quartier, chez qui elle était déjà cliente.


Héritage, jade blanc de la dynastie Qing (2,8 cm de diamètre) avec jadéite verte, rubis, or blanc, or jaune et diamant.


Premiers pas

Convaincre le joaillier d’honorer cette commande un peu spéciale ne fut cependant pas aisé. « Au début, je n’étais vraiment pas intéressé, avoue Qiu Qing-xiang, le propriétaire du magasin. Ce travail prend beaucoup de temps et n’engendre aucun profit. » Les joailliers, explique-t-il, sont en effet rémunérés au nombre de pièces assemblées et non selon un tarif horaire. Or, si la création d’une bague requiert à peine une journée de travail, la réalisation d’un bijou conçu par Rita Chang peut prendre jusqu’à un ou deux mois, à charge pour Qiu Qing-xiang et ses employés de mettre au point les techniques de fixation adéquates. « Cela requiert une grande technicité, dit-il. Il me faut d’abord rechercher la meilleure méthode et communiquer en permanence avec la créatrice afin de s’assurer que chaque détail est conforme à ses souhaits. »

La première réalisation pour Rita Chang, en 1996, — une broche faite d’une bague en jade blanc d’époque Qing surmontée d’un petit papillon en jadéite verte — a ravi sa conceptrice, qui la portait tous les jours. « Vous savez, les bijoux sont sans doute le sujet de conversation favori des femmes, assure Rita Chang. Le mien ne m’avait pas coûté cher mais se retrouvait vite au centre de la conversation. »


Vie magnifique, jade blanc
de la dynastie Qing (3,6 x 6 cm) avec jadéite verte,
onyx noir, rubis, or blanc et diamant.

Reconnaissance

Encouragée par le succès de cette broche, Rita Chang créa de nouveaux modèles, souvent imaginés pendant ses trajets quotidiens en bus pour se rendre au travail. Dix ans après, elle avait réalisé 140 pièces, appréciées d’un petit cercle d’amis et de collectionneurs, et dont le style libre en avait déconcerté plus d’un. Autodidacte, elle a pu s’affranchir des goûts dominants.

Ce n’est qu’en 2006 que Rita Chang commença vraiment à se faire un nom. Cette année-là, Huang Yung-chuan, le directeur du Musée national de Taiwan, à Taipei, découvrit son travail et l’invita à exposer ses créations. « En appliquant des concepts et des techniques modernes, Rita Chang donne une nouvelle allure aux anciennes pièces de jade et restaure leur élégance », dit ce dernier.

L’exposition, qui tenait dans un étroit couloir du musée, n’en a pas moins été un énorme succès. Par la suite, Rita Chang a été invitée à exposer à Kaohsiung, à Taichung, et récemment, au Mémorial Tchang Kaï-chek, à Taipei. A chaque fois, ses chefs-d’œuvre attirent non seulement les collectionneurs mais aussi un large public.

Qiu Qing-xiang et son équipe sont systématiquement associés à ces événements. « Rita Chang est l’une de mes clientes les plus exigeantes et cette collaboration n’est pas lucrative, mais le sentiment d’accomplissement que l’on éprouve en regardant ses propres œuvres exposées dans un musée national est incomparable. »

Aujourd’hui, Rita Chang continue à créer mais ne s’affole pas quand l’inspiration tarde à jaillir. Au fond, elle a gardé une âme de collectionneuse : tout comme mettre la main sur une pièce rare suppose parfois de la chance, elle s’en remet au destin pour trouver le meilleur arrangement et mettre en valeur ses vieux objets en jade.

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