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Les Atayal de Wulai : une culture en transition

01/08/2003
Redécouvrir les activités traditionnelles : le tissage est un artisanat qui renaît et contribue à l’essor de l’économie locale.

>>A Wulai, une petite ville de montagne située non loin de Taipei, les Atayal tentent de trouver un équilibre entre leurs traditions et le mode de vie moderne

Il y a bien longtemps, des Atayal ont remonté la rivière de montagne qui baigne Wulai. A une trentaine de kilomètres de ce qui est aujourd’hui la capitale, ils aperçurent alors un dense nuage de vapeur dans les airs et s’écrièrent : « Wu lai ga lu ! », ce qui signifie dans leur langue « source d’eau chaude ». L’endroit venait de trouver son nom.

Les Atayal furent les premiers à s’installer là. Nichée entre deux montagnes, la bourgade de Wulai est aujourd’hui réputée pour ses routes en lacet, ses cascades, la richesse de sa faune et de sa flore et, bien sûr, ses sources d’eau chaude. Les habitants de Taipei aiment aller se balader là-bas, y découvrir la nature sauvage des alentours. Ils viennent aussi s’y plonger dans un autre environnement culturel, celui du peuple atayal, l’une des onze tribus aborigènes de Taiwan. Les totems et autres motifs qui décorent les hôtels et restaurants dans un pastiche de style aborigène contribuent à attirer les touristes, conférant à l’ensemble une atmosphère pseudo-ethnique.

La vieille rue de Wulai déborde de boutiques de souvenirs et d’artisanat local, ainsi que de petits restaurants qui servent des spécialités culinaires aborigènes telles que le riz gluant cuit dans du bambou, la viande parfumée à l’alcool de riz et grillée sur des pierres chaudes, la soupe de fleurs de bétel ou encore les moachi, un dessert à base de farine de millet farci d’une pâte de fèves rouges, de cacahouètes ou de sésame. Situé à proximité de la bourgade, le Village culturel aborigène propose des spectacles de danse, des expositions d’objets culturels, tandis qu’on peut y acheter toutes sortes de produits artisanaux.

Le succès de Wulai en tant qu’attraction touristique n’a cependant rendu que plus difficile la préservation de la culture originelle des Atayal. « Certes, Wulai s’est considérablement modernisée, constate Chien Mu-sheng[簡木勝], le président de l’Association pour le développement aborigène de Wulai (ADAWT), mais, en contrepartie, le patrimoine culturel atayal a énormément souffert ! »

Au niveau national, les pouvoirs publics tentent de mettre en œuvre des mesures concrètes pour renforcer les atouts économiques au niveau des régions, tout en préservant l’identité locale. Pour les Atayal, le problème est cependant réel. Ceux-ci voient trop souvent les fonds tirés de la promotion de leur propre culture atterrir dans les poches de gens qui ne sont pas d’origine aborigène.

Les difficultés rencontrées par Chivas Rabu, la propriétaire du Salita Hostel (« chez nous » en langue atayal), en sont un bon exemple. Dans son petit établissement ouvert en 1995, on sert des plats atayal dans un décor traditionnel. Les prestations sont généralement plus authentiques que celles offertes dans les grands hôtels. « Je suis tellement heureuse de pouvoir aider à la promotion de notre culture et de faire connaissance avec des touristes du monde entier, déclare-t-elle… Pourtant, l’implantation accélérée dans le centre-ville d’hôtels de luxe offrant des bains thermaux nous marginalise. »

La compétition avec les grandes chaînes hôtelières nouvellement installées sur le site est très rude. « Il ne nous reste que deux options, relever le niveau de l’établissement ou fermer. Mais je n’ai pas l’argent nécessaire pour une telle modernisation. »

Les aborigènes sont les premiers habitants de cette île, et les traces de leur peuplement remontent ici à plus de 6 000 ans. Suite aux vagues successives de migration chinoise depuis quatre siècles, leur proportion a graduellement diminué pour ne plus représenter que 2% de la population totale. Même à Wulai, une ancienne implantation atayal, on ne compte que 2 000 aborigènes pour une population de 7 000 habitants. Quant aux élus de la localité, la plupart ne sont pas d’origine aborigène.

Les touristes locaux vont à Wulai pour prendre des bains dans les sources d’eau chaude, faire quelques emplettes et dîner dans des établissements qui sont en général tenus par des Taiwanais d’origine han. La majorité des aborigènes ne profite guère du succès touristique croissant de la bourgade et mène une existence difficile.

Dotée d’un budget de 7,3 milliards de dollars taiwanais pour 2003, une nouvelle initiative publique a été lancée au niveau national dans les 55 localités à dominante aborigène. « Le projet a pour but de développer l’activité économique locale, en faveur notamment des communautés tribales, explique Wang Chiu-i[汪秋一], un responsable de la commission d’Etat des Affaires aborigènes. Nous espérons, grâce à une amélioration de leur environnement économique, social et culturel, garantir aux aborigènes une vie meilleure dans le respect de leurs valeurs tribales. »

Les pouvoirs publics veulent aider les communautés aborigènes à développer de nouvelles activités économiques qui prennent davantage en compte les caractéristiques locales ou traditionnelles comme, par exemple, la culture des plantes endémiques, l’artisanat traditionnel ou l’hôtellerie au niveau familial. La priorité est souvent accordée au tourisme, à condition qu’il soit développé en harmonie avec le tissu local.

Chaque année, après les moissons de juillet-août, les Atayal observent un ensemble de rites pour rendre hommage à leurs ancêtres. Ce festival peut être une vraie source d’enrichissement pour ceux qui s’intéressent de près à la culture atayal. Un peu plus tôt, au moment de la saison des cerisiers en fleur, c’est-à-dire de février à mars, les autorités du hsien de Taipei s’associent à la municipalité de Wulai et aux associations communautaires pour organiser un festival culturel d’un mois. Au programme, musique aborigène, danses traditionnelles, spécialités culinaires, démonstrations de techniques de tissage, expositions de photos et projections de documentaires sur l’environnement local.

Pour aider les Atayal à préserver leur histoire, des groupes d’étude ont été formés, un musée abritant des objets traditionnels a été ouvert, et on prévoit de créer une chaîne de télévision aborigène. Au niveau national, la commission d’Etat des Affaires aborigènes a créé une quinzaine de bibliothèques dans les villages aborigènes où les habitants peuvent aussi s’initier à l’informatique, chercher des informations sur Internet et suivre une formation à distance.

L’éducation est un élément central de ce programme. Pour profiter du développement économique, les Atayal doivent être formés professionnellement, et il faut améliorer les infrastructures locales. « L’idée est de donner aux aborigènes le droit et les moyens d’imaginer leurs propres stratégies de développement, explique Wang Chiu-i. Cette campagne ne pourra cependant être efficace que si les communautés aborigènes s’y associent activement et pleinement. »

Dans le village de Wulai, on dénombre huit associations travaillant sur des projets communautaires. Kuo Chin-ming[郭錦明], président de l’Association pour le développement de la communauté de Chungchih, explique comment l’organisation qu’il dirige a soutenu ces projets en coordination avec les commissions d’Etat des Affaires aborigènes, de la Culture et du Travail. Grâce au financement public, son association a pu lancer un programme de formation professionnelle, créer des centres d’information et un site Internet.

Dans le même temps, la commission d’Etat du Travail a proposé des emplois temporaires aux habitants de la communauté : nettoyage des sites, traitement de l’information, suivi des projets touristiques, ainsi que collecte d’informations sur la culture atayal.

Selon Kuo Chin-ming, la tâche la plus difficile a été de convaincre les membres de la communauté et d’obtenir leur soutien. C’est pour cette raison que des experts ont été invités à donner des conférences aux villageois, afin de leur détailler les objectifs et d’obtenir leur avis sur ces programmes. Plusieurs voyages d’étude ont été organisés dans d’autres communautés aborigènes pour s’inspirer d’expériences réussies ailleurs.

L’association de Kuo Chin-ming projette de bâtir un parc éco-culturel atayal dont les membres de la tribu seraient propriétaires et gérants. Le parc pourrait présenter des habitations traditionnelles atayal - en bambou -, des objets de la vie quotidienne comme ceux employés pour la chasse, des traits culturels particuliers comme les tatouages faciaux. L’aspect commercial n’a pas été oublié, puisque les artisans auront la possibilité de commercialiser directement leur production et les groupes de chanteurs traditionnels de proposer leurs enregistrements. Les inévitables boutiques de souvenirs permettront aux commerçants de vendre des bracelets, des boucles d’oreilles, des sacs brodés, des poupées et mille autres gadgets ou objets.

Ce parc ne sera pas créé uniquement pour les touristes. « Notre but est bien sûr de montrer aux visiteurs ce que pouvait être la culture aborigène primitive et quelles étaient les traditions de ces hommes, explique Kuo Chin-ming. Mais nous voudrions aussi que nos enfants réapprennent à découvrir comment vivaient nos ancêtres, pour que les jeunes générations connaissent mieux leur héritage culturel et s’y identifient plus facilement. »

Chen Sheng-Jung [陳勝榮], directeur de l’école élémentaire Fushan de Wulai, estime que ces projets communautaires sont un bon exemple de ce qui pourrait être fait à plus grande échelle. « Autrefois, nous avons négligé le développement des villages et des tribus pour insister sur la mise en place de grands projets, dit-il. L’expérience a montré depuis qu’une société ne peut s’enrichir dans son intégralité si toutes ses parties constituantes n’en profitent pas. »

Cette campagne ne sera pleinement efficace que si un gros effort est réalisé, explique-t-il, dans la conservation et la promotion des rituels et des langues tribales, ce travail ne pouvant être réalisé qu’au sein des écoles locales et des centres d’éducation communautaire.

Chien Mu-sheng aime à répéter que Wulai a beaucoup plus à offrir que de simples sources d’eau chaude, un artisanat varié et des spécialités culinaires. Il est vrai que la majorité des touristes ne vont guère plus loin que les limites du village et ne se risquent pas à la découverte des splendeurs de la nature environnante. Pourtant, la vraie beauté de Wulai se trouve là, à quelques kilomètres de son centre en remontant la rivière. Dans un décor de montagnes somptueux marqué par l’exubérance des forêts, une petite marche sur un sentier surplombant une gorge profonde au fond de laquelle coule une rivière bleutée permettra de goûter à la vie aborigène authentique, loin des spectacles pour touristes. C’est dans ce genre d’endroit, par exemple, que les villageois viennent cueillir les plantes médicinales et les herbes qu’ils emploient dans la cuisine locale. Voilà le vrai trésor des Atayal, l’héritage qu’il faut conserver.

« Nous, les Atayal, sommes nés avec de la force de caractère et de l’enthousiasme, dit Chen Sheng-jung. Malgré les difficultés qui se dressent sur notre chemin, nous nous battons pour garder vivant, à Wulai, l’esprit atayal. » ■

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