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Une maison de seigneur

01/03/2009
La maison originelle, devant laquelle se tiennent Zhang Xueliang et son épouse, a été reconstruite à l’identique sur l’autre berge de la rive (ci-contre, à g.).

>> Pour attirer les touristes, le petit village de Qingquan, dans le district de Hsinchu, cherche à capitaliser sur un épisode particulièrement intriguant de l’histoire de la République de Chine

Qingquan, un hameau aborigène sur la commune de Wufeng, est surtout connu pour ses sources chaudes. C’est le dernier site habité que l’on traverse avant d’atteindre le Parc national de Shei-pa et la vieille piste de montagne de Syakaro. Les autorités locales cherchent aujourd’hui à y développer le tourisme autour d’un « trésor caché » : l’ancienne résidence d’une figure légendaire de l’histoire de la République de Chine.

Ce personnage à l’aura mystérieuse est Zhang Xueliang [張學良] (1901-2001), un seigneur de la guerre qui, en 1936, modifia le cours de l’histoire en enlevant Tchang Kaï-chek [蔣介石] (1887-1975). Son motif ? Convaincre celui-ci de cesser la lutte contre les communistes pour s’allier avec eux contre l’envahisseur japonais. Ce coup d’éclat est resté dans les pages des livres d’histoire comme l’Incident de Xi’an.

La carrière militaire de Zhang Xueliang a commencé très tôt, en 1921, après l’assassinat par les Japonais de son père, le seigneur de la guerre mandchou Zhang Zuolin [張作霖], qui était surnommé « le vieux maréchal ». Au pied levé, Zhang Xueliang prend la tête de l’armée que commandait son père pour devenir l’un des chefs militaires les plus puissants de Chine. « Le jeune maréchal » est ensuite l’un des fidèles collaborateurs de Tchang Kaï-chek, participant aux campagnes de lutte contre les communistes. Jusqu’au jour où, en tant que commandant en chef des opérations nationalistes dans le nord-ouest de la Chine, il entre en pourparlers avec Zhou Enlai [周恩來] (1898-1976), un des dirigeants du mouvement communiste. Fin diplomate, Zhou Enlai persuade son interlocuteur de l’intérêt pour les nationalistes de former avec les communistes un front uni contre les Japonais.

Or, Tchang Kaï-chek commence par s’y refuser. Zhang Xueliang résout alors d’employer les grands moyens pour le faire changer d’avis. Le 12 décembre 1936, il le fait enlever et le séquestre pendant deux semaines, jusqu’à ce qu’il accepte de s’allier avec les communistes. Il l’accompagne ensuite à Nankin, alors la capitale de la République de Chine, sachant pertinemment qu’il y sera jugé pour cet acte de trahison. Le « jeune maréchal » est condamné à dix ans de prison par une cour militaire. Amnistié par Tchang Kaï-chek, il restera pourtant en résidence surveillée pratiquement toute sa vie, d’abord sur le continent, puis à Taiwan.

Zhang Xueliang résida à Qingquan de 1946 à 1957, se consacrant à la lecture d’œuvres classiques chinoises et de la Bible, ainsi qu’à l’écriture. Il vécut là avec sa troisième épouse, Zhao Yidi [趙一荻], surveillé par une soixantaine de soldats et membres de la police militaire. Après treize années de réclusion dans cette contrée éloignée, on le fit déménager plusieurs fois à travers l’île. Il fut parfois convié par Tchang Kaï-chek à assister avec lui au service religieux dans la petite chapelle située dans sa résidence de Shilin, à Taipei.

Zhang Xueliang retrouva la liberté en 1990, à la faveur de la démocratisation, mais ce n’est qu’en 1995, alors qu’il était déjà très âgé, qu’il eut l’autorisation de quitter l’île, ce qu’il fit avec son épouse pour se réinstaller à Hawaii, aux Etats-Unis. Il s’y éteignit en 2001 à l’âge de 100 ans.

La vaste demeure de bois dans laquelle le seigneur de la guerre vécut pendant onze ans, à Qingquan, avait été construite à la période japonaise (1895-1945). Connue sous le nom de Sanatorium des sources chaudes de Inoue, elle avait abrité un club d’officiers japonais. Elle fut totalement détruite par le typhon Gloria en 1963.

En 2004, explique le chef du district de Hsinchu, Cheng Yung-chin [長永金], il a été décidé de reconstruire le village de façon à exploiter au mieux les ressources touristiques de la région. Le projet incluait la réfection des routes et l’aménagement du torrent de montagne qui coule à cet endroit afin d’éviter une répétition des crues dévastatrices qui avaient emporté la route et l’ancienne demeure, ainsi qu’une chapelle. Le cœur du projet de réaménagement, ajoute l’élu, a consisté à reconstruire la maison et à documenter les années que Zhang Xueliang y passa, par exemple en recueillant les témoignages des habitants du village qui connurent l’ancien seigneur de la guerre et son épouse. Une réplique de la demeure en bois s’élève aujourd’hui sur la berge de la rivière, en face de l’endroit où elle était située à l’époque. Elle a été ouverte au public le 12 décembre dernier, date anniversaire de l’Incident de Xi’an.

Chiu Hsien-ming [邱賢明], le maire de Wufeng, espère que le site ranimera l’intérêt pour ce chapitre important de l’histoire du pays et amènera la prospérité économique à la région. « Environ 10 000 Atayal et Saisiyat vivent à Wufeng, souligne-t-il. Nous voulons partager avec davantage de gens la beauté naturelle de Qingquan et la richesse de la culture aborigène. »

Si Zhang Xueliang était encore en vie aujourd’hui, il serait sans doute en accord avec ce désir de partager la beauté du site, car malgré la situation, il garda de bons souvenirs de son séjour à Qingquan. Ses nièces, qui vivent aujourd’hui à Hongkong, relatent que son journal reflète l’énorme affection qu’il avait pour les aborigènes de la région.

En 2006, elles ont publié un livre retraçant la vie de réclusion qui lui fut imposée, et fourni à la collectivité locale de nombreuses photographies privées qui ont permis de reconstruire la demeure japonaise à l’identique.

Zhang Xueliang reste un personnage énigmatique, sa personnalité étant rendue plus difficile encore à définir du fait du rôle si particulier qu’il joua dans les relations entre le Kuomintang et le Parti communiste chinois. Le « jeune maréchal » refusait le titre de héros qui lui était attribué dans la sphère chinoise, et ne voulait pas non plus être présenté comme un fidèle de Tchang Kaï-chek.

Bien qu’il ait été maintes fois invité sur le continent par les autorités chinoises une fois installé à Hawaii, il refusa toujours d’y retourner.

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