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Changhua la rebelle

01/11/2004
La rotonde de Changhua et son pont tournant permettant d’aiguiller les motrices vers leur entrepôt de maintenance.

>> Si Changhua semble à la traîne de sa voisine Taichung, ses habitants insistent sur la qualité de vie qu’elle a à offrir. Difficile d’imaginer que cette ville simple et tranquille ait eu un passé aussi turbulent

L’histoire de Changhua débute il y a plus de trois cents ans, à l’époque de Zheng Jing [鄭經], le fils du célèbre Zheng Chenggong [鄭成功] (ou Koxinga) général loyaliste à la dynastie Ming qui fit de Taiwan sa base arrière de combat contre les armées mandchoues. L’endroit où s’est développée la ville avait pour attrait notable d’être arrosé par un cours d’eau navigable, la Tatu. Les manuels d’histoire insistent sur le rôle du général Liu Guoxuan [劉國軒], qui vers le début du XVIIIe s., supervisa le défrichage et l’exploitation des terres alentour. La région devint ainsi un carrefour commercial pour les voyageurs qui se déplaçaient entre le nord et le sud de l’île. En 1723, année de l’accession au trône de l’empereur Yongzheng [雍正] (règne 1723-1736) de la dynastie Qing, l’administration du district de Zhuluo s’établit à Changhua, qui était alors en quelque sorte le grenier à grain du centre de Taiwan.

La chute de Changhua

Mais toutes les bonnes choses ont une fin. Cent cinquante ans plus tard, sous le règne de l’empereur Guangxu [光緒] (1875-1895), le gouverneur de la province, Liu Mingchuan [劉銘傳], constatant que le port de Changhua, à Lukang, était devenu inutilisable car ensablé, lui préféra Taichung. Changhua, dont la prospérité dépendait du commerce maritime, avait perdu son influence. Pendant la période japonaise, Taichung continua de s’épanouir tandis que sa rivale s’étiolait.

En 1945, lorsque Taiwan passa sous le contrôle de l’administration chinoise au départ des Japonais, Changhua eut de nouveau des rêves de grandeur, auxquels le manque de terres propices au développement mit rapidement fin.

« La ville de Changhua dispose d’un bon réseau de transports, et la population y est restée stable. Pour 230 000 habitants, nous disposons d’un budget annuel inférieur de 10 milliards de dollars taiwanais à celui de la ville de Chiayi, qui compte, elle, 260 000 habitants. C’est vraiment injuste, cela ne nous donne pas les moyens de nous développer », explique le maire Wen Kuo-ming [溫國銘].

Changhua, dit-il, est un mélange merveilleux de classicisme et de modernisme. « Notre ville peut se vanter de receler une dizaine de sites historiques classés au niveau national, de même qu’un riche patrimoine culturel que nous avons réintégré dans la ville moderne. » L’élu cite la création du Musée historique et culturel de Taiwan et du Centre de recherche sur les arts folkloriques, destinés à promouvoir les arts au niveau local.

Chang Chien-fen [張建棻], journaliste employé par la municipalité, estime que le manque d’espace est l’obstacle principal à l’essor de Changhua. « Comment voulez-vous que la ville s’agrandisse alors qu’elle est bloquée à l’ouest par le mont Pakua et que le chemin de fer la traverse de part en part ? »

A l’époque où les villes étaient reliées par le train, les gares contribuaient au déploiement commercial de celles-ci. Pourtant, si la plaine qui s’étale à l’est de la gare est aujourd’hui un quartier commercial et résidentiel prospère, l’ouest est pratiquement désertique. Et maintenant qu’une autoroute traverse ces terres, l’étendue semble définitivement perdue pour le développement.

Bien que Changhua soit relativement peu peuplée et que son expansion territoriale n’ait aucun caractère d’urgence, la municipalité continue de voir ses plans de développement contrariés. Les obstacles semblent surgir avec régularité. C’est pour cette raison que les habitants de Changhua ont en réalité poussé un soupir de soulagement en apprenant que le nouveau train à grande vitesse passerait dans les montagnes, loin de chez eux.

La vieille rotonde

Si la ville paraît aujourd’hui à jamais figée dans un rôle secondaire, il n’en a pas toujours été ainsi. Autrefois, tout le monde connaissait Changhua et en particulier sa gare.

Celle-ci se situe en effet à la jonction de la ligne ferroviaire de l’intérieur de l’île et de celle suivant la côte ouest. A l’époque des trains à vapeur, lorsqu’il fallait dix heures pour rejoindre Kaohsiung depuis Taipei, c’était une étape obligatoire pour tout voyage vers les montagnes de Nantou. Les trains s’arrêtaient à Changhua pour changer de conducteur et de personnel de bord avant de poursuivre leur trajet. Plusieurs trains quittaient la gare tous les jours, le dernier ne partant qu’à 3 h du matin. Changhua était « une ville qui ne dort jamais. »

En 1978, l’Administration des chemins de fer décida d’abandonner les locomotives à vapeur pour les motrices électriques, et les dépôts qui étaient autrefois nécessaires pour l’entretien du matériel roulant furent peu à peu laissés à l’abandon. Aujourd’hui, seul le « Vieux hangar en éventail » est encore debout. Construite en 1923, cette rotonde doit son nom à la disposition en arc de cercle des douze voies qui y aboutissent. Liv Wong [翁金珠], le chef du district de Changhua, explique que s’il avait été démoli, il ne serait plus rien resté de cette page de l’histoire de la ville. Aujourd’hui classé, le site devrait abriter bientôt un musée du chemin de fer.

Les deux visages de Changhua

Au début de la dynastie Qing, Changhua était connue sous le nom de Banxian, la transcription chinoise du nom de la tribu aborigène locale. Certains pensent que le nom de Changhua est l’abréviation d’une phrase témoignant de la « bienveillance de l’empereur » (zhang xian huang hua, 彰顯皇化). Pourtant l’historien Kang Yuan [康原] est convaincu que le nom vient d’ailleurs. En 1726, un temple dédié à Confucius fut construit à Changhua, à l’intérieur duquel fut installée une stèle portant l’inscription : « Développer l’érudition et l’éducation, propager la culture et le raffinement » (She xue li jiao [設學立教,以彰雅化], yi zhang ya hua. Kang Yuan croit que c’est de cette phrase qu’a été tiré le nom de la ville.

Résistance

On raconte que les habitants de Changhua ont tellement résisté aux « envahisseurs » japonais que ces derniers appelaient la ville « Ehua » ou « la vicieuse ». Changhua acquit ainsi la réputation auprès des autorités coloniales d’être difficile, réputation qui faisait d’ailleurs sa fierté.

Kang Yuan, ancien conservateur du Musée Lai He, raconte que lorsque Taiwan fut cédée aux Japonais en 1895, la ville se battit vaillamment. Durant les combats qui firent rage sur le mont Pakua, quelques martyrs, dont Li Shibing [李士炳], Wu Tangxing [吳湯興] et Wu Pengnian [吳彭年], tinrent tête à l’armée japonaise pendant trois jours et trois nuits. Changhua subit de lourdes pertes, mais le prince japonais Yoshihisa fut tué.

Un monument en son honneur fut érigé à l’endroit où il avait péri, poursuit Kang Yuan, mais un inconnu effaça le mot « prince » de la stèle, un acte qui provoqua la fureur des Japonais.

L’épisode de la bataille du mont Pakua a inspiré au poète Lai He [賴和] (1894-1943), considéré comme le père de la littérature taiwanaise, ces vers évocateurs :

« Des pavillons noirs se déploient dans le vent du mont Pakua / Se battent pour une bonne cause. / Certains témoins demeurent aujourd’hui / Pour raconter l’histoire des martyrs… »

Après la rétrocession de Taiwan, un mémorial dédié aux héros de la résistance antijaponaise a été érigé dans la région. Même si cet événement s’estompe lentement de la mémoire collective, il démontre clairement l’esprit rebelle de Changhua.

Capitale littéraire

Lai He est sans conteste l’un des auteurs les plus importants de la littérature taiwanaise. Né à Changhua pendant la guerre sino-japonaise, il reçut dès son plus jeune âge une éducation de lettré chinois. A l’adolescence, il arborait même la natte traditionnelle des sujets de l’empereur mandchou en Chine, qui, selon lui, était la marque de l’homme véritable. Si bien qu’il hésita un certain temps à rejoindre le système scolaire public où le japonais était de rigueur et la natte interdite. Mais il ne put résister longtemps : il apprit le japonais et coupa ses cheveux. Néanmoins, par la suite, il écrivit tous ses ouvrages en chinois.

A l’âge de 16 ans, Lai He fut admis à l’Ecole de médecine de Taipei. En 1916, une fois diplômé, il retourna dans sa ville natale pour y ouvrir un cabinet médical.

Deux ans plus tard, il partit travailler dans un hôpital, près de Xiamen, en Chine continentale. Là, il suivit avec attention le Mouvement du 4 mai et sa profonde influence sur la culture et la société chinoises. De retour à Taiwan en 1920, il se mit à travailler au développement d’un style littéraire taiwanais moderne. Toute son œuvre parle de la corruption et de la dégradation engendrées par des coutumes et des traditions dépassées, ainsi que de l’humiliation des gens du peuple et de la lutte des faibles et des déshérités.

Pakua, le mont symbolique

Esprit rebelle et littérature taiwanaise moderne mis à part, Changhua est aussi connue pour l’immense statue du Bouddha qui s’élève depuis les années 60 sur le mont Pakua.

Le mont Pakua est longtemps resté un site stratégique. L’endroit portait à l’origine le nom de Wangliao ou montagne « qui surveille les troupes ». Sous la dynastie Qing, le sommet était aussi connue sous le nom de Dingjun ou montagne « sur laquelle stationnent les troupes ».

Sous le règne de l’empereur Jiaqing [嘉慶] (1796-1820), Cai Dehui [蔡德輝], un lettré demeurant à Changhua, écrivit un poème à propos du célèbre mont:

« Gravissant le mont Pakua à l’aube/ Rentrant chez moi étudier les Mutations/ Perdu dans mes pensées/ La montagne subsiste claire dans mon esprit ».

Le poème joue sur une correspondance entre les bagua (ou pakua), les huit trigrammes autour desquels est construit le Livre des Mutations ou Yijing [易經], et la forme octogonale du mont qui rappelle celle de ces huit éléments au cœur de la pensée taoïste.

Kang Yuan propose une autre explication : à l’époque où Taiwan, sous l’égide de Zheng Chenggong et de ses descendants, luttait encore contre la dynastie Qing, les principaux acteurs de la rébellion, comme Lin Shuangwen [林爽文], Dai Chaochun [戴潮春], Shi Jiuduan [施九緞], Chen Zhouquan [陳周全], étaient liés d’une manière ou d’une autre à la société secrète Bagua. « Celle-ci était aussi connue sous le nom de Tiandi [天地, c’est-à-dire « Ciel et Terre »], les deux premiers des huit trigrammes. » Pendant le règne de l’empereur Qianlong [乾隆] (1736-1796), Tiandi organisait ses activités de résistance depuis Changhua. Comme les membres de la confrérie se rassemblaient le plus souvent sur les hauteurs de la ville, c’est sous ce nom-là que l’endroit finit par être connu, avance l’historien. Plus tard, à l’arrivée des troupes japonaises, à la fin du XIXe s., le mont Pakua abrita à nouveau une poche de résistance.

La montagne est aujourd’hui appréciée comme destination de sorties scolaires. A son sommet s’élève le Grand Bouddha qui depuis bientôt près d’un demi-siècle domine la ville dont il est devenu le symbole. Cette statue du Bouddha Gautama d’une hauteur de 22 m a été achevée en 1961 et rappelle celle qui s’élève dans le temple Todaiji, à Nara, au Japon.

Le monument, qui peut être visité, abrite des sculptures dépeignant la vie du Bouddha et renferme un espace de culte. Assis majestueusement au sommet du mont Pakua, le Grand Bouddha continue à veiller sur Changhua. ■


■ Quelques sites remarquables à visiter à Changhua :
- Le temple de Confucius, monument classé.
- Le monastère taoïste de Yuanching. Le seul du genre à Taiwan, il abrite par ailleurs un monument à la mémoire de l’Empereur de Jade.
- Le temple Nanyao, dédié à Matsu, et son architecture éclectique comportant des colonnades grecques.
- La rotonde.
- Le musée Lai He.

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