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Les combats de coqs

01/09/1990
L'histoire sociale de la Chine a partout mentionné dans ses différentes sources la mode du combat de coqs à la cour impériale et dans le reste de l'empire. Un combat, de Tcheou Tche-mien. (Dynastie Ming.) (Photo : Musée national du Palais à Taïpei)

Comme l'animal lui-même, le combat de coqs a probablement son ori­gine en Asie. Quelques historiens esti­ment que cette ancienne joute d'ani­maux a ses origines dans le subcontinent indien et, de là, s'est répandu vers les autres contrées du monde. Mais des fouilles archéologiques récentes remon­tant à des dates encore plus anciennes que les sites de la civilisation de la vallée de l'Indus, à Mohenjo-daro (c. 2500­ 1500 av. J.-CJ, révèlent une domestica­tion très ancienne de la volaille en Chine, laissant planer quelques doutes sur la théorie des origines indiennes. Ce jeu sanglant était également très popu­laire en Grèce antique, probablement parvenu en ces lieux par , et. semble avoir existé à Rome dès 470 avant J.-C.

Le combat de coqs possède une longue histoire en Asie. Le Bayon d'Angkor-Thom, au Cambodge, possède de magnifiques bas-reliefs où l'on peut admirer une scène de combat de coqs. Cette fresque date de la fin du XIIe au début du XIIIe siècle, mais le combat de coqs était populaire au Cambodge bien avant la dynastie d'Angkor (à partir de 802), comme l'affirment des documents chinois relatifs au royaume de Founam (Bhnam, ou Phnom, la montagne, en khmer moderne) * qui occupait tout le bassin inférieur du Mékong et du Tônlé-Sab, soit l'étendue du Cambodge et de l'ancienne Cochinchine.

Des ambassadeurs chinois, les pre­miers connus, arrivèrent au Founam vers 245 ou 250. L'un d'eux fait état de la passion des habitants de ce pays pour le combat de coqs et de la manière dont ils armaient les coqs de pointes en métal (bec et, ergots). Mais peu importe les commentaires des Chinois sur le Fou­nam, tous au moins jusqu'au XIe siècle, n'ont pas manqué d'attirer l'attention sur le combat de coqs, devenant une ca­ractéristique de la vie de ce pays. Les his­toriens chinois n'ont rien voulu de parti­culièrement exotique à ce jeu, puisque, au temps de ces voyages au Founam au XIe siècle, le combat de coqs existait bel et bien en Chine depuis déjà 750 ans.

Le premier combat de coqs relaté re­monte à l'an 517 avant J.-C. sous la dy­nastie Tcheou, la principauté de Lou, le pays natal de Confucius, actuellement dans le Chantong. Ce combat d'animaux particulier qui n'en est pas moins men­tionné dans un des quatre grands clas­ siques chinois avait été organisé entre les clans Ki-souen et Heou. Cette joute animale a souvent servi de référence à la lutte pour le pouvoir, comme celle qui sévissait tant dans tout l'empire chinois parmi les familles aristocrates.

Malgré une réprobation morale, l'élevage de coqs belliqueux florissait. La prospère Soutcheou de Hiu Yang. (Peinture de la dynastie Ts'ing.) (Photo : The Commercial Press, Ltd.)

Il n'y a aucune raison de douter de l'existence de ce combat de coqs. Et les moyens utilisés, notamment l'usage de pointes de métal, prouvent que ce jeu était bien populaire depuis quelque temps. Un autre fait significatif de ce combat est l'usage de la moutarde sous une forme quelconque sur l'un des deux combattants. Il reste à savoir où elle était appliquée et dans quel but. Des écrits an­térieurs mentionnent bien la moutarde avec quelque relation aux ailes, peut-être comme stimulant, mais absolument aucune explication n'est donnée. Quoi qu'il en soit, la moutarde et les pointes en métal, ainsi que les noms des deux clans familiaux, sont peu à peu devenus en poésie et en prose des images et des allusions du combat de coqs.

Les documents de la dynastie Tcheou (XIe siècle-256 av. J.-C.) et de la dynastie Han (.C. - 220 P.C.) décri­vent souvent le combat de coqs comme un passe-temps des dirigeants et des gens riches ou d'importance. Parmi les passionnés de ce jeu, on retiendra le père de Lieou Pang, l'empereur Kao­tsou fondateur de la dynastie Han. La fa­mille impériale Lieou en a fourni un grand nombre d'autres tout aussi en­ thousiastes. Lieou Yu, arrière petit-fils de Lieou Pang, et un fils de l'empereur King-ti (règne 157-141) étaient pas­sionnés non seulement du combat de coqs mais aussi de canards et de jars. Le grand empereur Wou-ti (règne 141-87 av. J.-C.), connu pour sa gloire jusqu'à l'immortalité et l'adoption du confucia­nisme comme l'orthodoxie impériale, a parfois honoré de sa présence des com­bats de coqs. L'empereur Siuan-ti (règne 74-49) fut un passionné de ces joutes bestiales dans sa jeunesse, de même que l'empereur Tcheng-ti (règne 33-7) .

Outre ces têtes couronnées, il est évident que les gens du commun furent également enthousiasmés pour ce jeu dès la fin des Tcheou ou le début des Han (IIIe siècle av. J.-C.). Les Annales des Royaumes combattants le mention­nent comme une des activités favorites des habitants de la ville de Lintseu durant cette période de troubles (475-221). Enfin, il existait des profes­sionnels de l'élevage et de l'entraîne­ment des coqs de combat pour la lice.

A la fin de la dynastie Han et sous la dynastie suivante Weï (220-265), la poésie commença à parler des combats de coqs, comme celle de Tsao Tche [ 曹植 ] et de Fou Hiuan [ 傅玄]. Dans Villes célèbres, Tsao Tche décrit la vie insou­ciante des jeunes de la capitale Loyang avec cette ligne : « Ils s'amusaient au combat de coqs sur les chaussées des fau­bourgs de l'est. » Plus tard, les références sur les routes de l'est ou des faubourgs dési­gnaient en tant que simple expression figée tout bonnement les combats de coqs.

La construction de des combats de coqs dont, malheureuse­ ment, on ne connaît rien de la structure, par le neveu de Tsao Tche, l'empereur Ming-ti (règne 226-239), est peut-être une indication de la popularité de ces combats. D'autre part, des poèmes et des notes historiques des Six Dynasties (220-589) précisent que le combat de coqs et celui de canards se sont bien poursuivis pendant cette période trouble.

Peinture murale du tombeau du prince Li Hien, des Tang, à Kien (Chânsi). On voit un personnage impérial tenant un beau coq de son « écurie ». (Photo : Commission d’Etat de la Culture)

Dès le début de la dynastie Tang (618-907), les jeunes princes de la fa­mille impériale Li participaient à des combats de coqs. La tombe du prince Li Hien est décorée de magnifiques pein­tures murales dont celle d'une dame du palais tenant en ses mains un coq de combat. Mais les plus beaux jours de ce jeu sous les Tang sont certainement sous le règne de Hiuan-tsong (712-756), l'un des plus grands souverains de Chine. La seconde moitié de son règne est particu­lièrement fameuse en dépenses folles pour les arts et les loisirs.

Le combat de coqs était en grande vogue, comme le mentionne justement la littérature et la peinture. On y trouve de grands poètes, Wang Weï, Li Po et Tou Fou, attestant la popularité du combat de coqs jusque dans les hautes sphères de la société. Ne voit-on pas l'empereur Hiuan-tsong assister en per­sonne à un combat de coqs? Une grande œuvre littéraire, Le vieil homme des rem­parts de l'est, un grand conte de cette pé­riode, décrit dans un chinois classique parfait justement l'événement. La princi­pale caractéristique de ces combats est la présence de la personne impériale. D'au­ cuns y déceleront dans ces joutes vul­gaires un indice du déclin de la cour. Cette œuvre rapporte que, comme l'empereur était né à une date contenant le caractère cyclique yeou, correspondant à l'animal zodiacal du coq, il était de mau­vais augure qu'il s'enthousiasmât pour ce combat animal.

La rébellion d'An Lou-chan, appor­tant désolation par le fer et le sang conduit à l'abdication de Hiuan-tsong en mettant un terme aux extravagances qu'avait connu sa cour. Mais le combat de coqs a quant à lui survécu, et en popu­larité et comme passe-temps impérial. Les empereurs Taï-tsong (règne 629-649), Mou-tsong (règne 820-824), Wen-tsong (règne 826-840) et Hi-tsong (règne 873-888) aimèrent tous particu­lièrement les lices des coqs.

Dès le début des Tang, le combat de coqs était déjà associé au deux fêtes du printemps de Han-che et de Tsing-ming (vers le 5 avril actuel), ce qui se poursui­ vit jusque sous les Song (960-1279). Dans la première capitale Song, Pien­ king (actuelle Kaï-fong dans le Honan), c'était également une des prin­cipales activités qui composait la célébration de l'anniversaire du dieu populaire Eul-lang, le 24 du Sixième mois lunaire. Sous les Song, l'urbanisation avait fait beaucoup de progrès, et la demande en divertissements publics était grande, tant à Pien-king que dans la seconde capi­tale Lin-an (J'actuelle Hang-tcheou, dans le Tchekiang), en Chine du Sud.

Les riches familles de ces deux métro­poles se disputaient nombres d'artistes et artisans de tous les genres, y compris les spécialistes dans les combats de coqs ou de cailles.

Un combattant étalon.

Les combats de coqs sous les Song n'étaient en aucun cas restreints à la capi­tale et étaient organisés au moins aussi loin que Tcheng-tou, dans le Sseut­ chouan. Se rappelant son expérience en cette ville, Lou Yeou [ 陸游 ], le plus pro­lifique des poètes Song, écrivit:

Le vieil homme insouciant était à 50 ans
[encore intrépide et audacieux
Dans cette ville de brocarts, il s'éveilla une
[fois dans un rêve de luxe
Les abris printaniers enfeuilles de bambou,
[les aiguières de jade bleu-vert
Les fleurs de pêcher, les chevaux pur-sang,
[les brides de soie vert éclatant
Les coqs de combat dans les marchés du
[sud où chacun se sépare en deux camps
Le tir aufaisan dans les faubourgs de
[l'ouest,j'étais partout stupéfait ...

Les participants les plus avides du combat de coqs sous les Song étaient cer­tainement les habitants étrangers, c'est­ à-dire non chinois, de Canton et de sa région. On trouve un répertoire intéres­sant de leurs pratiques dans Observations au-delà des cinq cimes réunies par Tcheou Kiu-fei [ 周去非 ] vers la fin du XIIe siècle. Sur le combat de coqs, il af­firme notamment l'usage de la moutarde sur le combattant comme mentionné quelque quinze cents ans plus tôt sous les Tcheou.

Plus proche de nous, de nombreuses citations sont faites dans la prose des dy­nasties Yuan (1271-1368) et Ming (1368-1644). Au début des Tsing (1644-1911) , un grand poète rappelle que les rejetons de la famille impériale Ming pariaient régulièrement leurs enjeux au-dessus du gallinodrome. Ailleurs, Tchang Taï [ 張岱 ] (1597­ vers 1689) parle du divertissement autour des lices de gallinacés belliqueux et de la formation de diverses associa­tions de ce jeu. Et de conclure avec un accent du Vieil homme des remparts de l'est : « Un jour, je lisais une histoire. Hiuan-tsong des Tang avait perdu son empire pour être né un mois yeou de l'an yeou, tant il était épris du combat de coqs. Puisque moi aussi, je suis né dans les mêmes registres, j'abandonne la partie. »

Le célèbre roman Rêve du pavillon rouge, écrit sous les Tsing, rapporte éga­lement ce jeu sanglant. Au XIXe siècle, les voyageurs anglais ont régulièrement mentionné le combat de coqs en Chine. La critique féroce des observateurs occi­dentaux sur ces lices en Chine témoignent de leur sensibilité relative aux rap­port de l'homme et de la nature. Mais elles furent également pendant des siècles très populaires dans quelques ré­gions de l'Angleterre avant d'être inter­dites au siècle dernier même si cela ne les a pas magiquement fait disparaître.

Le combat de coqs est un jeu violent et sanglant qui se pratique toujours au XXe siècle. Il prédomine plus dans cer­taines régions que d'autres, comme à Bali et aux Philippines, où il fait partie même du folklore. Moins connue est sa propagation dans d'autres contrées, comme aux Etats-Unis où il est générale­ment associé à un esprit populaire du Sud profond, de cubaine, des Etats frontaliers bordant le Mexique et des Hawaï. En fait, il existe dans presque tous les Etats de améri­caine brassant des millions de dollars américains chaque année et attirant d'innombrables éleveurs et joueurs. Ce­ pendant, malgré sa tenacité dans les mœurs, il demeure strictement interdit ou limité dans de nombreux pays.

Il s'est pourtant maintenu en Chine. La présence de dépêches du Quotidien du Peuple le concernant en souligne l'accep­tation par les autorités. Il est très popu­laire dans de nombreuses provinces, dont le Chantong, le Honan, l'Anhoueï, le Kiangsou et le Kouangtong. Cheou­ kang, dans le Chantong, est réputée pour sa forte tradition du combat de coqs, et Hotse, également dans cette pro­vince, fut le grand centre d'un « derby international » (notons l'appellation au passage) en 1986. Kaïfong, dans le Honan, où l'on pratique traditionnelle­ment ces joutes de gallinacés pratiquées depuis les Song (Xe siècle) possède une ancienne et solide association de joueurs, laquelle a survécu à toutes les vicissitudes de moderne jusqu'à présent. A Taiwan, le combat de coqs n'est pas en soi illégal, mais les paris le sont. Or les combats de coqs sans les paris indispensables ...

Dans impériale, les forces opposées à ce jeu étaient quelque peu dif­férentes de celles du monde européen contemporain. Cette opposition en Chine ne s'est nullement souciée du droit des animaux ou du droit des hommes à leur égard. Elle s'est directe­ment intéressée au milieu actif de ces joutes et à ses enjeux qui troublaient le bon ordre social. Elles ont en effet en­ gendré la passion du jeu, la frivolité, nui à l'instruction générale et gâché temps et argent.

Selon les documents historiques et littéraires, sous les Han, le combat de coqs était déjà associé à une source de perversion dans la dépense et le jeu pour les jeunes, les personnes de basse condition et les chevaliers errants aux mœurs non moins douteuses. En ce temps-là, Tong Tchong-chou [ 董仲舒 ] 079.C.), le principal propagateur du confucianisme comme doctrine poli­tique officielle adoptée par l'empereur Wou-ti, n'avait pas manqué d'inclure le combat de coqs dans la liste des activités nuisibles au bon ordre social. En fait, ce sont les jeux d'argent qui l'accompa­gnent inévitablement et qui en sont tout le mal.

La séparation des combattants est nécessaire avant le combat.

La grande première critique du combat de coqs que l'on lit dans la poésie d'un auteur obscur des Six Dynas­ties One-VIe siècles) le décrit comme l'occupation d'un malandrin. Elle est continuée par les grands poètes des Tang, comme Wang Weï et Li Po, qui blâme cette joute animale et tous ceux qui doivent leur position élevée grâce à ces activités annexes. Le combat de coqs s'identifie assez avec le déclin moral chez les lettrés chinois à partir du XVIIIe siècle, comme dans le Rêve du pa­ villon rouge ou bien l'histoire contempo­ raine de Meng Ka [ 孟珂 ] de Ting Ling [ 丁玲 ].

Si les valeurs traditionnelles chinoises ont bien condamné le combat de coqs, le rôle de la religion est plus flou. A première vue, les préceptes bouddhiques de protection des animaux, en tant qu'êtres vivants, sembleraient une arme puissante pour s'opposer à ce jeu violent et sanglant. Et les règles mo­nastiques contre les spectacles existent certes bien, mais on aborde un dilemme doctrinal, car l'objet du karma de la réin­carnation en un animal quelconque est de faire pénitence à travers la souffrance infligée par l'homme, les autres animaux et la nature. Il se peut que la maïtrî  (la mi­séricorde universelle) bouddhique em­ pêche quelques gens de participer au combat de coqs, mais on n'en voit pas ef­fectivement l'évidence directe. ■

Robert Joe Cutter,
Professeur associé de chinois à l'université du Wisconsin, Madison (E.-U.).

Le Bhnam (Bhanam) est historiquement connu sous son nom chinois Fou-nan, ou mieux Founam, selon la transcription et la prononciation des Chinois du Sud, d'ailleurs plus proches du nom originel. Le Founam, de culture hindouïque, fut le grand empire marchand pré-khmer des Mers du Sud, du 1er au VIe siècles de l'ère chrétienne. Sa capitale fut Vyadha­ poura (la cité des chasseurs), auj. Banam, province de Prêy Veng (Cambodge), sur un des bras du Mékong. Sur son déclin, il fut mis en tutelle, puis conquis par Bhavavarman 1er, souverain du royaume kampoudja (cambodgien) voisin des terres hautes. Il créa sur cet ensemble le puissant empire de Tchen­ la, ou Tchan-Iap. (NOLR)

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