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Mc Hotdog, porte-drapeau du rap isulaire

01/03/2008

>> Mc Hotdog est à Taiwan la référence en matière de hip-hop. Son secret: un rap adapté aux préoccupations quotidiennes de la jeunesse insulaire

Depuis quelques années, la culture hip-hop s'est immiscée ici dans le quotidien de la jeunesse. Les magazines branchés mènent la danse en promouvant des lignes de vêtements très « gangsta rap(1) » ou en révélant quelques pas de danse basiques. Les stars de la musique pop, Jay Chou [周杰倫] en tête, n'hésitent pas à rapper le temps d'un refrain. Les discothèques de l'île ne conçoivent plus une soirée sans diffuser un morceau signé Dr. Dre, 50 Cent ou Jay Z. Mais alors que la musique indépendante insulaire réussit enfin à trouver son public, le rap taiwanais a encore du mal à sortir de la confidentialité. Une exception à la règle : Mc Hotdog [熱狗] qui, depuis 2001, demeure le fer de lance de cette mouvance musicale.

A 31 ans, le leader incontestable du hip-hop taiwanais, récompensé pour son dernier album lors des Golden Melody Awards, ne porte pas de baggy pants (les pantalons très larges qui tombent au ras des fesses), ni même de pendentifs démesurés, lorsqu'il n'est pas sur scène. Loin des clichés véhiculés par les rappeurs américains, il reste toujours très poli lors des interviews. Mc Hotdog est avant tout un artiste qui observe la société qui l'entoure. Il en dépeint les travers dans des textes acerbes. Plutôt que d'imiter ses confrères qui sévissent de l'autre côté du Pacifique, il préfère tracer sa voie et donner ses lettres de noblesse à un hip-hop typiquement local. Son « flow(2) » original et authentique est certainement l'une des clés de son succès.

De l'Internet aux Golden Melody Awards

En pleine adolescence, Yao Chung-Jen [姚中仁] qui ne se fait pas encore appeler Mc Hotdog découvre le rap américain via la radio. Nous sommes alors au milieu des années 90. « J'ai tout de suite trouvé ce courant musical très cool. J'ai essayé de trouver des groupes taiwanais qui faisaient du rap, mais je me suis très vite rendu compte que c'était très peu pratiqué ici. J'écoutais toujours plus de hip-hop américain et, naturellement, je me suis mis à composer mes propres textes », explique aujourd'hui Mc Hotdog. A l'occasion, il se réunissait avec des copains pour mettre ses paroles en musique et enregistra même une démo. « Nous étions tellement heureux que nous la distribuions à tous nos amis. Quelqu'un a diffusé plusieurs chansons sur Master U, un site Internet dédié à la culture hip-hop, et il y a eu un engouement immédiat. Il faut dire qu'à cette époque-là, personne ou presque ne faisait de rap à Taiwan. »

En 1999, la démo fait le tour des campus de l'île, tandis que sur Internet, Mc Hotdog est élu « premier rappeur taiwanais ». Des copies pirates se retrouvent même en vente jusqu'à Hongkong et en Chine.

Dès lors, conscient de sa popularité bâtie exclusivement sur le bouche à oreille, le jeune chanteur commence à rapper dans les pubs de la capitale taiwanaise. Il est vite remarqué par le label Magic Stone. Quelques mois plus tard, un premier album tout simplement intitulé « Mc Hotdog » voit le jour.

Premier album et déjà un morceau mythique sur les trois qu'il contient : Laissez-moi rapper[讓我來RAP]. Le succès est au rendez-vous puisque 300 000 CD sont vendus en quelques semaines. « Le rap taiwanais émergeait à peine. Les textes étaient radicalement différents de ce que le public était habitué à entendre. Mes chansons faisaient référence aux problèmes de société. C'est ce qui a plu, je pense », confie le rappeur.

Les albums vont s'enchaîner dans le courant de l'année 2001 avec, en filigrane, l'analyse de la société taiwanaise dans ce qu'elle a de plus quotidien : le poids des médias, les politiciens, ou la mode coréenne qui déferle sur l'île...

Mais le service militaire et la disparition du label Magic Stone vont momentanément figer la carrière de Mc Hotdog. Il réapparaît en 2005. Fort de sa popularité restée intacte, on le retrouve sur les scènes des différents festivals de l'île et même en tournée internationale aux côtés de Chang Chen-yue, chanteur turbulent représentatif d'une jeunesse taiwanaise plus que jamais en quête de liberté et d'individualisme. « Après la disparition de Magic Stone, Chang Chen-yue était dans la même situation que moi. Il s'est mis à organiser de grandes fêtes sur les plages et dans les différents clubs de l'île. Il invitait des DJ. Il montait aussi sur scène avec son groupe Free 9. Il m'a demandé de participer à ses soirées. Le son hardcore de son groupe, le style de Chang Chen-yue et ma manière de rapper ont créé un mélange assez particulier. » Et c'est cette collaboration qui a donné naissance à la chanson I Love Taiwan Girls [我愛台妹] qui est devenu l'hymne de ralliement de la mouvance Taike (3)[台客].

La carrière de Mc Hotdog est ainsi relancée et même accélérée. Il signe chez Rock Records et sort en 2006 l'album Wake up. Le succès commercial est de nouveau au rendez-vous, mais cette fois-ci, c'est aussi toute l'industrie insulaire du disque qui reconnaît Mc Hotdog, puisque Wake up est sacré en juin 2007 meilleur album en langue chinoise lors de la cérémonie des Golden Melody Awards.

Un hip-hop enraciné dans les réalités

Aujourd'hui, Mc Hotdog demeure le rappeur taiwanais le plus populaire. Porte-drapeau du mouvement hip-hop insulaire depuis près d'une dizaine d'années, il a aussi largement contribué à l'émergence d'un rap localisé. « La culture hip-hop est importée. Mais elle s'est enrichie des spécificités locales et des apports personnels de tous les rappeurs, à Taiwan comme ailleurs. C'est ce qui fait, à mon avis, la beauté du rap. » Evidemment, l'une des spécificités du hip-hop insulaire est le recours aux deux langues les plus parlées ici, le chinois mandarin et le taiwanais. Ce mélange convient parfaitement à Mc Hotdog, car selon lui, ces deux langues sont complémentaires : « Ce qui est intéressant avec le mandarin, c'est que l'on peut utiliser les proverbes en quatre caractères. Personnellement, je les utilise beaucoup dans mes textes. Avec seulement quatre caractères, on peut raconter une histoire, décrire une situation. C'est quelque chose qui est par exemple impossible avec l'anglais. Quant au taiwanais, il est très riche en expressions argotiques, c'est une langue très colorée. Par ailleurs, le choix des sonorités est plus vaste en taiwanais qu'en mandarin, cela ouvre davantage de possibilités de rimes. »

Outre les questions de langue, c'est le contenu des chansons de Mc Hotdog qui enracine son rap dans la culture locale. Si l'on peut importer les mélodies, il est difficile de calquer les textes sur le modèle américain. Le hip-hop a pour vocation de conter les réalités quotidiennes. Or, le quotidien d'un jeune Taiwanais est bien loin de celui d'un jeune Américain. « Il y a quelques années de cela, un groupe taiwanais s'est lancé dans le gangsta rap. La maison de disques avait alors véritablement mis l'accent sur ce côté violent. Mais cela n'a pas fonctionné. Le public ne se reconnaissait pas dans les paroles », explique le rappeur.

Pour lui, imiter les Etats-Unis ne sert à rien, il faut se concentrer sur les réalités de l'île. Alors, tel un journaliste, Mc Hotdog consigne les micro-événements de sa vie quotidienne dans un carnet. Il note ce qu'il voit à la télévision, ce qu'il entend en arpentant les rues de Taipei. Mc Hotdog aime capter les ambiances de la société taiwanaise et ses chansons sont des instantanés, de véritables photographies sonores.

Dans ses textes, il s'insurge contre l'idolâtrie des chanteurs populaires sud-coréens et se moque du mannequin taiwanais Lin Chih-ling [林志玲] et de ce qu'elle incarne de superficiel à ses yeux. Mc Hotdog aborde aussi des sujets plus graves comme l'instabilité politique de Taiwan, les dérives politiciennes ou encore le problème de la drogue. « L'instabilité de l'île est la question qui préoccupe le plus l'ensemble de la société. L'attitude des médias est aussi un véritable problème. J'ai écris un texte en réaction aux abus des journalistes taiwanais. Certains d'entre eux pensent que le fait de tenir un micro leur donne tovs les droits . »

Aujourd'hui, Mc Hotdog est le seul rappeur capable de rivaliser en termes de popularité avec les artistes de pop music les plus reconnus. Il écrit aussi pour les autres et prépare actuellement un nouvel album. Il semble comblé. Il ne lui reste plus, comme la plupart des artistes taiwanais, qu'à s'attaquer au marché chinois : « J'ai beaucoup de sollicitations depuis deux ans. Mais certaines de mes chansons contiennent des injures. Cela me vaut d'être classé sur la liste noire des autorités chinoises. Je pourrais donner des concerts sans autorisation, mais cela serait risqué. Je préfère attendre le bon moment. »

Le 26 janvier dernier, Mc Hotdog a eu un avant-goût de l'ouverture puisqu'il a pu monter sur la scène du Shanghai Inter national Gymnastic Center à l'occasion d'un concert exceptionnel : une apparition dans le cadre de la tournée chinoise de son ami de toujours, Chang Chen-yue, qui assurait la promotion de son dernier album,OK. Reste aujourd'hui à savoir quand Mc Hotdog aura le feu vert pour se produire en Chine en son nom et pour chanter ses propres compositions.■


(1) Gangsta rap : courant du rap originaire de Californie, alliant textes très violents et musique inspirée par le funk, lancé au début des années 90 par Ice Cube, Dr. Dre, Eazy-E et MC Ren, qui formaient alors le groupe Niggaz With Attitude (N.W.A.).
(2) Flow : manière qu'a un rappeur de débiter ses paroles.
(3) Taike : à l'origine, il s'agit d'un terme péjoratif qui désignait les Taiwanais de souche. Aujourd'hui, ce terme désigne une mouvance culturelle qui se retrouve principalement dans le monde de la musique indépendante taiwanaise. Une manière très locale de s'habiller et de parler qui, ces dernières années, est devenue très tendance.


Où écouter du hip-hop taiwanais ? 

S.F.

Avec Internet, découvrir le hip-hop taiwanais n'est plus un problème. Le site YouTube (www.youtube.com ) propose des vidéos de Mc Hotdog et de nombreux autres groupes. La plateforme Streetvoice (www.streetvoice.com ) est également un bon moyen de découvrir les groupes les plus confidentiels.

Côté maisons de disques, deux labels taiwanais ont tenté l'aventure hip-hop. Da Project Records (www.daproject.com ) est véritablement spécialisé dans le rap, tandis que Machi Entertainement produit des artistes plus prometteurs commercialement.

On peut aussi regarder Chocolate Rap, un film de Lee Chi-yuan [李啟源] sorti en 2006. Plutôt destiné aux adolescents en quête de romantisme, le film a le mérite de décrire l'univers du breakdance taiwanais.

Enfin, pour ceux qui souhaitent écouter du hip-hop taiwanais en live, il existe à Taipei un club spécialisé, le TU (www.clubtu.com.tw).


Sur les traces des L.A. Boyz

Si Mc Hotdog est aujourd'hui incontestablement la figure de proue du rap taiwanais et qu'il est considéré comme le premier rappeur de l'île, cette musique n'a pas été introduite à Taiwan par lui mais par le groupe L.A. Boyz, composé de Jeff Huang [黃立成], Stanley Huang [黃立行] et Steven Lin [林智文], tous trois Américains originaires de Taiwan.

Jeff est né à Taiwan mais a grandi à Los Angeles, tandis que son frère Stanley et son cousin Steven sont nés aux Etats-Unis. Le trio se lance dans le rap, introduisant non seulement cette musique à Taiwan en 1991 mais aussi le breakdance .

Durant plusieurs années, les L.A. Boyz, parfois plus considérés comme un « boys band » que comme un groupe de rap, ont connu un succès considérable à Taiwan. Le groupe a sorti une douzaine d'albums avant de se défaire en 1999. Après une courte transition aux Etats-Unis, Jeff Huang est revenu à Taiwan et a fondé le groupe Machi [麻吉] dont le premier album est sorti en 2003.

Dans le même temps, plusieurs autres groupes se sont lancés dans le hip-hop à l'instar de Dog G [大支], prononcer toa-ki en taiwanais), Asian Power ou A.E.C. [東方刺客], mais leur succès reste encore souvent limité au cercle des initiés. Aujourd'hui, le rap taiwanais vend encore peu même si ses artistes sont de plus en plus présents dans le paysage musical insulaire.

Parallèlement, les grandes maisons de disques ont compris le potentiel qu'offre ce courant musical et tentent régulièrement de lancer des groupes labélisés « hip-hop » qui demeurent souvent éphémères. C'est dans ce contexte que Da Mouth [大嘴巴] a sorti son tout premier album en novembre dernier chez Universal Music.

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