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Les oreillers chinois

01/09/1984

Ils étaient la porte du domaine des rêves, mais aussi de l'art, de la médecine et du mystère

Un oreiller au décor de fleurs était un symbole de bonne fortune. Fours de Tsou-tcheou. Epoque des Song (960-1279).

Les oreillers chinois, d'ordinaire, n'étaient que de simples appuis-tête faits en pierre, en bois et en céramique. On en confectionnait bien de plus confortables avec des plantes, des feuilles, des fleurs enroulées, mais la plupart des Chinois, aux jours anciens, dédaignaient ces mol­lesses qui risquaient de leur faire perdre leur vitalité. Le «confort» est une idée vieille en Europe, et, dans la fabrication des meubles, une place essentielle lui est donnée. Il n'en allait pas de même en Chine où le mobilier, fait de bois dur, in­corporant des éléments en marbre, avait en plus de sa fonction propre le rôle de «corriger» le maintien.

Le Tchang-tcheou-jou Tcheu (漳州府志, Annales de la préfecture de Tchang­ tcheou [province du Foukien], sous la dynastie Tsing (1644-1911) relate: « Dans les temps anciens, les gens faisaient des oreillers en bois. De nos jours les oreil­lers sont en bambou tressé et peint. Les plus beaux viennent du hsien [district] de Long­yan. Un autre type d'oreillers, utilisés par les voyageurs, comporte deux poignées et est re­couvert de cuir ... »

D'après le Kou-tchin Tou-chou-tchi Tcheng (古今圖書集成), compilé et publié sur l'ordre d'un empereur Tsing, on se servait jadis en guise d'oreillers d'herbes médicinales, de pierres, de livres, de bois, de tuiles, de vases et de porcelaines ...

Pour confectionner un oreiller médi­cinal, le Pao-cheng-yao Lou (保生要錄) un vieux livre d'hygiène, suggère de moudre treize espèce de plantes qu'il énumère soigneusement et de les mélan­ger avant de les envelopper d'un tissu de soie brute. L'ensemble doit être placé dans un sac d'une soie plus fine. Afin de conserver sa fragrance et ses vertus, ce coussin sera, le jour, conservé dans une boîte.

Kao Lien (高濂), sous les Ming, dans son Tsouen-cheng Pa-tchien (遵生八牋), un ouvrage qui offre des formules de santé, parle d'un oreiller médicinal qui ne doit être utilisé que le 5 du cinquième mois et le 7 du septième mois. Fait de cèdre rouge, cet oreiller était long d'un pied (env. ), large de 3 pouces (env. ) et haut de 4 pouces (env. ). Le travail du bois, dit-il, demande beaucoup d'habileté pour que le parfum des plantes ne se perde pas. Sur un côté, quelques cent vingt trous, gros comme un grain de millet sont dis­posés sur trois rangées. Puis ces cavités une fois remplies d'une préparation faite à partir de trente-deux plantes diffé­rentes, l'oreiller est enveloppé d'une taie. Après cent nuits de sommeil sur cet oreiller, on retrouve sa santé, aux dires de Kao Lien. Au bout d'un an, toutes les maladies sont guéries. Après quatre ans, les cheveux blancs redeviennent noirs, les dents repoussent, l'ouïe comme la vue retrouvent leur acuité.

Dans le même ouvrage, on peut lire la description d'un oreiller fait de livres ou plutôt de rouleaux, comme il convient à propos de ancienne. Ce genre d'oreiller aurait eu les faveurs du légen­daire Yao, qui utilisait trois rouleaux. Il croyait notamment que dormir sur le Taï-tching Tien-lou (太清天籙, les Registres célestes), le Nan-Tchi Cheou-chou (南極壽書, le Livre de ) ou le Peng-laï-chien Tchi (蓬萊仙籍, le Livre des Immortels) lui inspirerait des rêves élégants et sereins.

Tien Chi (田鍚), de la dynastie Song, a écrit un essai descriptif entremêlé de vers pour louer l'oreiller de chrysan­ thèmes séchés. « En frappant légèrement l'oreiller rempli de chrysanthèmes séchés, le parfum des fleurs me caressa doucement le visage. Je m'endormis sans m'en apercevoir. Le lendemain matin, je débordais d'idées et de pensées. »

Dans les Si-king Tsa-ki (西京雜記) de Wou Tchiun (吳均), sous les Liang (464-569), mélanges concernant les pé­riodes précédant et suivant celle de l'em­pereur Wou-ti de la dynastie Han, on peut lire qu'un jour, le général Li Kouang (李廣), célèbre pour ses succès contre les Huns, chassait en compagnie de son frère au nord du mont Ming quand ils aperçurent un tigre. D'une seule flèche, Li Kouang tua la bête. Ils lui coupèrent la tête dont ils se servirent comme oreiller, gage de leur ascendant sur les fauves.

Un oreiller de l'époque des Song, sorti des fours de Tchiun.

Le Kai Yuan Tien Pao Yi Cheu (開元天寶遺事) fait mention d'un curieux appui-tête. Dû au pinceau de Wang Jen-yu (王仁裕), sous les Cinq Dynasties (907-959), ce livre qui est un recueil des légendes entourant l'empereur Siuan­-tsong, de la dynastie Tang, relate: «D'un dessin simple, l'oreiller a la couleur de l'a­gathe et donne l'impression du jade. Quand on y repose la tête, on rêve à des lacs splen­dides, à des montagnes admirables. L'empe­reur le nomma oreiller Yeou-chien (遊仙, qui conduit au pays des immortels). » Plus tard l'oreiller magique fut donné à son premier ministre, Yang Kouo-tchong.

Mais le plus bizarre des oreillers était peut-être l'«oreiller des morts». Le Pen­-tsao Kang-mou (本草網目), édité par Li Cheu-tchen (李時珍) sous les Ming, qui recense mille plantes et mille animaux employés dans la pharmacopée, donne trois exemples d'oreillers ayant été uti­lisés par des personnes décédées capables de guérir les maladies.

Une très vieille dame souf­frait de paralysie. Le médecin Siu Sseu-po, sous les Song, dia­gnostiqua une «maladie cadavé­rique». Il prescrivit une décoc­tion à base d'«oreiller d'homme mort» à faire bouillir et adminis­trer oralement. Après avoir pris de ce breuvage, la dame se remit totalement.

Un garçon de quinze ans avait le ventre gonflé et un teint particulièrement jaune. Il avait tâté de plusieurs médecines qui n'avaient pas empêché que son état empirât. Le docteur diagnos­tiqua un ver solitaire et conseilla à son jeune patient de boire une infusion d'«oreiller d'homme mort». Après avoir ingurgité cette potion à plusieurs reprises, le malade retrouva la complète santé.

Un homme du nom de Chen Seng-yi souffrait de troubles des yeux. Il était en outre visité par les démons. Pour le docteur Siu Sseu-po, aucun doute n'était permis, le foie avait été infiltré par des es­prits malsains. Il s'agissait de faire bouillir au plus vite un «o­reiller d'homme mort» et d'en avaler le bouillon. Sans oublier de rapporter l'oreiller à son lieu d'origine, Chen Seng-yi suivit point par point les instructions du médecin et s'en trouva fort bien.

Un autre symbole de bonne fortune, également sorti des fours de Tchiun. Epoque des Song.

Tchou Yen (朱琰), sous la dynastie Tsing, décrit dans son Tao-chouo (陶說, conversation sur la poterie) les appuis­-tête de porcelaine provenant de vieux fours, normalement de deux pieds cinq pouces de long (env. ) et de six pouces de large (env. ), qui peu­vent être utilisés pour dormir. Mais ceux qui n'ont qu'un pied de long (env. ) proviennent de tombeaux an­ciens. Il convient de les éviter...

Avant que les oreillers de porcelaine ne se répandissent, les Chinois avaient continué de se servir de tuiles, de pierres, de poteries. L'oreiller de porce­laine a peut-être vu le jour après les Han et les Wei (220-264). Il est difficile de vé­rifier avec exactitude le moment de son apparition, mais on suppose que la dynas­tie Tang marque la fin de sa vogue, par à un commentaire d'une histoire intitulée Chen-tchong-tchi (枕中記, le rêve de l'oreiller) de Chen Tchi-tchi (沈既濟)qui vivait sous les Tang.

Pendant la septième année du règne de Siuan-tsong (713-755), de la dynastie Tang, un vieux moine versé dans les arts magiques rencontra dans une taverne un homme dans sa prime jeunesse. Celui-ci se plaignit: « Un lettré comme moi devrait déjà avoir gagné place et laveur, prestige et respect. Mais je ne suis qu'un paysan!»

Sur quoi, le jeune homme ne tarda pas à s'endormir. Le moine tira de sa besace un oreiller qu'il plaça sous la tête du dormeur, lui soufnant à l'oreille: «Dors et je réaliserai tes voeux. » L'oreil­ler était en porcelaine et comportait deux orifices. Le jeune homme, inclinant la tête sur l'oreiller vit un des deux trous grandir et grandir... Il y pénétra et à son grand étonnement se retrouva chez lui. Là, il connut les joies et les souffrances d'une carrière ambitieuse, les privilèges et les vanités des charges officielles. A son réveill, il se retrouva dans la taverne près du vieux moine qui lui dit: « Cette vie de gloire et de richesse que tu as pour­suivie n'était qu'un rêve!»

Cet oreiller de l'époque des Tsing (1644-1911) porte une inscription de l'empereur Kien-long.

Les anciens Chinois croyaient que dormir sur de la porcelaine leur assurerait une vue claire et brillante, capable de dis­tinguer, le grand âge venu, les caractères les plus petits. L'oreiller en porcelaine était très en vogue à la cour. Ils croyaient aussi, sans le moindre doute, qu'un tel oreiller éloignait les démons, donnait aux femmes une progéniture mâle et al­ longeait la durée de la vie.

Ces appuis-tête de porcelaine ne sont pas pleins et comportent au moins un orifice. Certains, plus élaborés, ont un trou, souvent de forme octogonale. Cette aération permet à la porcelaine de conserver sa forme pendant la cuisson et fait ensuite de ces oreillers un coffre pour les objets précieux.

Mais ces appuis­-tête ajourés pouvaient être remplis de fleurs, jasmins, gardénias, tubéreuses ou d'herbes odoriférantes dont les doux par­fums induisaient de paisibles rêves. Souvent les oreillers étaient rectangulaires avec une face parfois concave. Plus an­ciennement, ils prenaient l'aspect d'une grosse noix de cajou ou d'un croissant de lune. On en trouve de plus pittoresques formes d'animaux ou de bouteilles. L'un d'eux est un chat allongé sur le sol. Un oreiller en porcelaine datant des Song, aujourd'hui dans une collection améri­caine, représente un enfant couché sur le dos, soutenant de ses paumes une feuille de lotus.

Certains sont peints, et on peut y voir des portraits, des scènes historiques ou des dessins géométriques.

Mais ces objets durs, froids peuvent­ ils fournir un agréable repos? Les mo­dernes, habitués aux coussins les rejette­ront sans doute avant même d'en faire l'essai. Mais l'oreiller de jadis, en porce­laine, était le plus souvent fait sur mesure, et sa surface incurvée épousait parfaitement le dessin de la nuque. Les Anciens se plaindraient sans doute de nos duvets amorphes ■

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