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Soul, face à face familial

01/12/2013
Comment être père quand son fils n’est plus lui-même, s’interroge Hung Mong-hong. Jimmy Wang (au second plan) incarne de très belle manière son personnage.
Il y a mille manières de puiser à la source de la culture et des croyances populaires. Là où certains réalisateurs misent sur le pouvoir fédérateur de la nostalgie, recette souvent reproduite à Taiwan pour composer un film à succès, Chung Mong-hong [鍾孟宏] emprunte avec Soul un chemin plus escarpé, noir et mystérieux.

Le personnage principal du film, Ah-chuan, cuisinier dans un restaurant de sushis à Taipei, s’évanouit un jour au travail pour une raison inconnue. Quelques jours plus tard, le jeune homme, interprété par Joseph Chang [張孝全], est amené par des amis chez son père, Wang, qui cultive seul des orchidées dans une exploitation perdue dans les brumes de Lishan, près de Taichung, dans le centre de l’île, sur le flanc abrupt d’une montagne isolée. Toujours plongé dans la torpeur, Ah-chuan est confié aux soins de sa sœur, qu’interprète Chen Shiang-chyi [陳湘琪]. Mais peu après, alors qu’il rentre du travail, Wang trouve sa fille baignant dans une mare de sang. L’homme censé être son fils lui lance calmement, parlant de lui-même : « J’ai vu que ce corps était vide, alors je m’y suis installé ».

Débute alors un face à face entre les deux hommes – un père qui veut le demeurer et protéger son fils à tout prix, et un fils habité par une âme étrangère, noire et violente. On retrouve un thème récurrent chez Chung Mong-hong, celui des relations père-fils, mais traité ici à travers le prisme du surnaturel et de la violence.

Les âmes errantes sont présentes partout à Taiwan. On craint leurs tourments. Un mois entier leur est même consacré pendant lequel on les nourrit pour les apaiser et faire en sorte qu’elles reprennent le chemin des Enfers, faute de quoi elles risquent de s’emparer des vivants. Dans Soul, cette croyance constitue une évidence qui s’impose aux personnages et les oblige à passer à l’action et à révéler leurs secrets.

Les forêts embrumées de Lishan ajoutent au mystère du soudain changement de personnalité d’Ah-chuan (interprété par Joseph Chang), dont le corps sans vie a été occupé par une âme errante.

Elle donne aussi à Chung Mong-hong le motif d’un thriller psychologique. Car même si l’intrigue se déroule sur fond de migration des âmes et de meurtres, Soul n’est ni un film d’horreur, ni une histoire de fantômes. En effet, le vrai héro du film est Wang, cet homme renfermé, hanté par son passé, qui a vu s’éloigner de lui son fils et qui, quand tout bascule, retrouve les réflexes protecteurs d’un père. Pour donner chair à ce personnage, Chung Mong-hong a choisi Jimmy Wang [王羽], star du cinéma d’arts martiaux dans les années 60 passé ensuite derrière la caméra, et dont les relations avec la pègre hongkongaise et taiwanaise ont souvent défrayé la chronique. L’acteur donne au personnage de Wang un air à la fois taciturne et opiniâtre, fragile et inquiétant.

Cette tension est soutenue par l’utilisation d’un vocabulaire cinématographique marqué par le symbolisme et créateur d’ambiances troublantes. Des arbres secoués par le vent, un insecte filmé en gros plan, la pénombre des sous-bois tranchée comme au couteau par la lumière crue d’une ampoule forment autant d’images restant gravées dans l’esprit du spectateur. Les personnages secondaires sont généralement convaincants, même si perce ici et là – en particulier pour le personnage de l’ancien camarade de classe d’Ah-chuan devenu policier – un jeu un peu décalé.

Le film progresse, ponctué par une série de meurtres à l’esthétique parfaite et monstrueuse, mais Chung Mong-hong a l’intelligence de ne pas fournir d’explication toute faite des actions et des énigmes de ses personnages. Il invite au contraire à une réflexion sur la vie et la mort, une ambition qui, ajoutée à la complexité de l’intrigue, pourra déconcerter quelques spectateurs. Quoi qu’il en soit, avec Soul, Chung Mong-hong continue de porter au sein du cinéma taiwanais une voix singulière et captivante.


Vers l’Oscar ?

Soul a été sélectionné pour représenter Taiwan dans la course aux nominations pour l’Oscar du meilleur film étranger, à Hollywood, aux Etats-Unis. Il faudra attendre le 16 janvier 2014 pour savoir si ce long métrage a quelque chance de succéder, le 2 mars prochain, à Amour de Michael Haneke. A Taiwan, cette œuvre très personnelle de l’auteur de Parking et du Quatrième portrait a déjà séduit, en juillet dernier, le jury du Festival international du film de Taipei, qui lui a attribué plusieurs prix, notamment celui du meilleur acteur pour Joseph Chang.

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