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Les nouveaux visages du cinéma taiwanais

01/07/2007

>> Ils ont moins de 35 ans, réalisent leur premier ou second long métrage et ont à cœur de renouer avec un public taiwanais qui, depuis des années, boude le cinéma local

Après avoir connu un âge d'or avec une production atteignant 200 films par an dans les années 80, le cinéma taiwanais s'est lentement enfoncé dans la crise. En 1989, deux ans après de la levée de la loi martiale, le nombre de films tournés dans l'île avait déjà diminué de moitié. En 2003, ce sont seulement 13 longs métrages taiwanais qui sont sortis sur les écrans. Paradoxalement, ce déclin s'est produit au moment même où émergeait une nouvelle génération de cinéastes novateurs avec pour chefs de file Hou Hsiao-hsien [侯孝賢] et Edward Yang [楊德昌].

C'est à partir des années 80 et grâce à ces réalisateurs que le nouveau cinéma taiwanais s'est fait une place de choix sur la scène internationale en gagnant à l'étranger plusieurs prix dans de grands festivals. Mais à cause de la libéralisation du marché du cinéma à Taiwan et de son ouverture sans restrictions aux superproductions américaines et, dans une moindre mesure, européennes, le public s'est tourné vers le cinéma étranger. Pour lui en effet, ces films, notamment américains, sont beaucoup plus ludiques et divertissants. Les réalisateurs insulaires sont souvent accusés d'être trop tournés vers un cinéma d'art et d'essai, formaté pour les festivals internationaux.

Cependant, les choses évoluent. Et aujourd'hui, les films taiwanais intéressent davantage les spectateurs insulaires. On est encore loin des 200 films par an mais, depuis 2004, la progression est stable. L'an passé, ce sont 39 longs métrages qui ont vu le jour.

En fait, on peut dater la reprise avec précision : elle coïncide avec la sortie en 2004 de Formula 17, de la jeune réalisatrice Chen Yin-jung [陳映蓉], aussi connue sous le nom de DJ Chen. Cette cinéaste alors âgée de 25 ans a fait voler en éclat les normes établies par le nouveau cinéma taiwanais . Et plutôt que de réaliser un film d'auteur, elle a préféré tourner une comédie populaire sur le thème de l'homosexualité, avec de jeunes acteurs que l'on n'avait encore jamais vus sur grand écran. « Cela ne s'était pas fait à Taiwan depuis une dizaine d'années. Avec Formula 17 , on s'est rendu compte qu'il existe tout de même un marché pour le cinéma insulaire. Je crois que cela peut donner envie aux réalisateurs de faire des œuvres plus légères, plus faciles à regarder », a déclaré la réalisatrice à la sortie de son film. Avec 6 millions de dollars taiwanais de recettes, Formula 17 fut le plus gros succès local de l'année.

La réussite de Formula 17 n'est pas le fruit du hasard. Chen Yin-jung a cherché à rompre avec ce qu'elle appelle un cercle vicieux. « A Taiwan, le cinéma ne rapporte pas beaucoup d'argent, et donc personne ne veut investir. Du coup, les réalisateurs n'ont pas les moyens nécessaires, alors ils doivent composer. Bien sûr, certains films taiwanais gagnent des prix dans les festivals internationaux, ce qui leur permet d'obtenir des subventions. Mais ils n'attirent pas pour autant les Taiwanais. Le problème, c'est que le cinéma insulaire est trop éloigné des préoccupations du grand public. Avec Formula 17 , j'ai essayé d'intéresser les spectateurs. Il faut absolument les récupérer en leur proposant des films esthétiques et compréhensibles. »

Surmonter les difficultés

Trois ans après, on peut dire que Chen Yin-Jung [潘志遠] a fait école. Durant le premier semestre de cette année, quatre œuvres taiwanaises se sont particulièrement distinguées, quatre films plébiscités tant par le public que par la critique : Touch of Fate de Pan Zhi-yuan, Spider Lilies de Zero Chou [周美玲], Reflections de Yao Hung-i [姚宏易] et Exit No. 6 de Lin Yu-hsien [林育賢]. Ces films témoignent d'une diversité grandissante dans le cinéma taiwanais, résultat de la volonté d'une nouvelle génération de cinéastes de reconquérir un public sans lequel l'industrie cinématographique insulaire ne saurait être viable. Mais si le 7e art taiwanais semble en phase de reprise, de nombreux problèmes subsistent, notamment financiers, qui sont un frein à la production cinématographique et à l'élan de beaucoup de réalisateurs.

Touch of Fate raconte le parcours d'un adolescent perturbé qui erre dans les rues de Taipei et glisse dans la délinquance avant de retrouver le droit chemin. Il s'agit là du second long métrage de Pan Zhi-yuan (après An Ocean Too Deep sorti en 2001). Pour lui, les soucis rencontrés sur le projet de Touch of Fate ont surtout été d'ordre financier : « Si l'on souhaite faire un film, il faut concentrer tous ses efforts sur la recherche de subventions du gouvernement taiwanais et de financements japonais ou français. Actuellement, pour réaliser un film, il faut un minimum de 10 millions de dollars taiwanais. Qui, à Taiwan, est prêt à investir une telle somme ? Personne. »

Etant donné la frilosité des sociétés taiwanaises, les réalisateurs taiwanais ne peuvent trop souvent compter que sur les subventions gouvernementales ou se tourner vers l'étranger. Lin Yu-hsien, réalisateur d' Exit No. 6 une comédie sur la jeunesse urbaine, a fait appel à des financements coréens. A Taiwan, très peu d'argent est investi dans le cinéma, confirme-t-il. Il y a donc peu de films à grand spectacle produits ici, et le public insulaire a le sentiment que le cinéma insulaire est en retard par rapport au cinéma étranger. Pour ma première fiction, j'ai voulu casser cette image. Après maintes difficultés, j'ai obtenu un budget de 25 millions de dollars taiwanais grâce à une subvention coréenne. Et cela me permet aussi de voir Exit No. 6 projeté en Corée du Sud. »

Nouvelle génération, communauté d'esprit ?

Si les quatre réalisateurs dont les œuvres sont sorties au premier semestre 2007 sur les écrans de l'île ne constituent pas à proprement parler un courant, ils partagent néanmoins un certain nombre de caractéristiques communes. D'abord, ils ont moins de 35 ans. Cela signifie qu'ils ont grandi en regardant les films du nouveau cinéma taiwanais , mais, s'ils sont respectueux du travail de leurs prédécesseurs, ils n'en demeurent pas moins critiques et surtout conscients du marasme dans lequel le cinéma a été plongé ici des décennies durant. Pour Lin Yu-hsien, le manque de moyens financiers en est encore et toujours la cause : « J'ai travaillé huit ans dans les différents métiers du cinéma. Je sais donc où se situent les problèmes. Par le passé, à cause d'un manque de moyens récurrent, les cinéastes partaient du principe que leur premier film serait peut-être le dernier. Ils mettaient donc dedans tout ce qu'ils avaient à dire. Cela a donné des œuvres indigestes, et un fossé s'est creusé avec le public insulaire. »

Quant à l'avenir, la nouvelle génération reste prudente. « Il y a plus de quinze ans, lorsque le nouveau cinéma taiwanais est apparu, tous les réalisateurs constituaient un groupe homogène. Aujourd'hui, cela n'existe plus. C'est vrai que le cinéma est plus diversifié mais, de mon point de vue, leurs films ne prennent pas de responsabilités », explique Yao Hung-i, le réalisateur de Reflections . Zero Chou considère, elle, que la reprise du cinéma taiwanais est encore timide : « Finalement, le nombre de films locaux qui sortent tous les ans sur les écrans reste faible. Par ailleurs, il n'y a pas encore assez de diversité, même si la situation s'est améliorée depuis deux ou trois ans. »

L'autre point commun de ces jeunes réalisateurs est leur parcours professionnel. Enfants de la crise du cinéma, ils restent très impliqués dans les autres domaines de l'audiovisuel, ce qui est peut-être aussi à l'origine de leur vision plus ludique et légère du 7e art.

Pan Zhi-yuan, issu de l'Institut du cinéma de Pékin, en Chine, travaille principalement pour la télévision et réalise des spots publicitaires, des activités lucratives qui lui permettent d'exister en tant que réalisateur de cinéma. Zero Chou, militante de la cause homosexuelle, a tourné de nombreux documentaires. Pour elle, la fiction et le cinéma du réel sont deux activités complémentaires. « Tourner un film de fiction ou un documentaire, cela revient au même. Et puis, la réalisation de documentaires me nourrit, cela m'apporte l'inspiration et les émotions nécessaires à la création de fictions. » Yao Hung-i, formé en premier lieu à la photographie, a débuté par la publicité avant d'intégrer la famille cinématographique de Hou Hsiao-hsien. Lin Yu-hsien a, lui, d'abord tourné des documentaires avant de passer au cinéma. Il est l'auteur du fameux Jump, Boys ! qui raconte la vie de petits gymnastes et qui a connu un véritable succès populaire en 2005.

Et puis, cette nouvelle génération de cinéastes s'intéresse beaucoup à la jeunesse urbaine taiwanaise d'aujourd'hui, qui est beaucoup plus éprise de liberté et d'individualisme que les générations précédentes. Pour Lin Yu-hsien, cette jeunesse est aujourd'hui scindée en deux : « Une partie d'entre elle est totalement sclérosée à cause de la société. Ces jeunes étudient beaucoup sans se poser de questions, ils suivent aveuglément ce que les adultes leur disent. Et puis, il y a ceux qui refusent le système, qui souhaitent vivre leur propre vie et trouver leur place dans la société par leurs propres moyens ». Yao Hung-i constate, lui, qu'il existe un véritable fossé générationnel : « Aujourd'hui, les jeunes sont beaucoup plus éloignés des traditions. Comme s'ils refusaient de prendre le relais... »

Si le thème de la jeunesse est récurrent, ce n'est pas uniquement parce que son étude est révélatrice de l'évolution d'une société. A Taiwan, l'immense majorité des spectateurs a moins de 40 ans. Yao Hung-i se souvient de la projection de son film au festival des Trois continents, à Nantes : « La moitié des spectateurs avaient plus de 50 ans. Ici, peu de gens vont encore au cinéma après 40 ans. »

Pendant longtemps, le cinéma taiwanais a été cantonné au cinéma d'auteur. Aujourd'hui, les cinéastes de la nouvelle génération veulent replacer le spectateur au centre de leurs préoccupations en lui offrant des films plus légers. Ils sont aussi conscients que pour véritablement exister, le cinéma taiwanais doit marcher sur deux jambes. C'est le constat de Lin Yu-hsien : « Beaucoup de gens nous reprochent de faire un cinéma trop enthousiaste. Mais aujourd'hui, la qualité du cinéma d'auteur taiwanais est reconnue à travers le monde grâce à des réalisateurs comme Hou Hsiao-hsien ou Tsai Ming-liang [蔡明亮]. Cependant, le public taiwanais ne peut pas se contenter de ce genre de films. Il veut de la diversité. Ces derniers temps, les choses évoluent dans le bon sens, c'est encourageant. » ■


QUATRE FILMS POUR UNE NOUVELLE TENDANCE

*Touch of fate
Touch of Fate raconte l'histoire de Da Yu, un adolescent d'une quinzaine d'années qui connaît des difficultés tant scolaires que familiales. Pris sur le fait en train de voler dans l'enceinte de son établissement scolaire, il quitte l'école et erre dans les rues de la capitale taiwanaise jusqu'à ce qu'il tombe sur Lee et Liao, des petits malfrats. Da Yu intègre cette nouvelle famille avec laquelle il apprend toutes les ficelles du métier. Après avoir expérimenté la douleur de la séparation et de la mort, il prend conscience des véritables valeurs de la vie.

Le personnage de Da Yu est interprété par Chang Yang-yang [張洋洋] qui jouait le rôle du petit garçon dans Yi Yi (primé à Cannes en 2000), d'Edward Yang.

*Spider Lilies
Jade est une jeune fille insouciante qui, pour subvenir aux besoins de sa famille, travaille comme « webgirl » (elle se livre à des conversations érotiques par le biais d'une webcam ). Elle décide un jour de se faire tatouer pour exciter ses clients. C'est ainsi qu'elle rencontre Takeko, une tatoueuse un peu taciturne qui doit s'occuper de son frère handicapé mental. Le tatouage dessiné par Takeko est lié à son passé douloureux. Dans le même temps, une histoire d'amour se noue entre Jade et Takeko.

Jade est incarnée par la très populaire chanteuse et comédienne de télévision Rainie Yang [楊丞琳], tandis que le rôle de Takeko est interprété par Isabella Leong [梁洛施], très remarquée dans le film hongkongais Diary (2006), de Pang Shun [彭順].

Spider Lilies a reçu le prix Teddy (Ourson) du meilleur film gay ou transgenre lors du dernier festival du film de Berlin.

* Reflections
Gin est chanteuse dans un groupe de rock. Elle a une relation avec Mi, une jeune femme vulnérable. Gin et Mi ont fait un pacte : elles arrêteront de se voir si l'une d'entre elles tombe amoureuse d'un garçon. Surgit alors Hau, qui vient de terminer son service militaire. Peu à peu Mi s'éprend de lui, mais il semble que Gin et Hau se soient fréquentés dans un passé pas si lointain. S'ensuit une relation trouble entre ces trois personnages qui, chacun à leur manière, ressemblent à la jeunesse taiwanaise actuelle.

Le scénario s'appuie sur une histoire vécue, celle de Oy Gin [歐陽靖] qui interprète elle-même le personnage de Gin. Nikki Shie, qui joue le rôle de Mi, a remporté le prix du meilleur second rôle féminin au dernier festival du Cheval d'or à Taipei pour cette prestation.

Reflections rappelle aussi par certains aspects la troisième partie de Three Times, de Hou Hsiao-hsien, également inspirée de cette même histoire. C'est d'ailleurs celui-ci qui a produit le film.

* Exit No. 6
Van Dine et son ami Vance fréquentent Ximending, un quartier haut en couleurs, à Taipei. Les deux garçons sont perpétuellement en quête de sensations fortes. Ils font un soir la connaissance de Fion, jeune fille studieuse, par l'entremise de Vivian. Les quatre jeunes gens vont devoir élucider des mystérieuses disparitions qui frappent le quartier.

Le scénario de ce film est inspiré de deux documentaires réalisés par Lin Yu-hsien également : Pray for Graffiti et His-men Street .

Exit No. 6 est le numéro de la sortie de métro qui donne sur la place de Ximen, lieu de rendez-vous de la jeunesse taipéienne, dans un des quartiers les plus animés de la capitale taiwanaise, et ce depuis la période de la colonisation japonaise.

Retrouvez les présentations de ces films sur Internet :
Touch of Fate : http://www.tlfun.net/dayu/
Spider Lilies : http://spiderlilies-movie.com/
Reflections : http://www.sinomovie.com/reflections/
Exit No.6 : http://www.exitno6.net/

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