29/04/2024

Taiwan Today

Accueil

L'art taiwanais du thé en Chine

01/04/2007
Un thé perlé servi dans une ambiance cosy.

>> Des maisons de thé taiwanaises, Chun Shui Tang est sans doute celle qui offre la plus authentique couleur du terroir. Elle est aussi à l'origine du « thé à bulles » et du thé perlé au lait. Aujourd'hui, elle s'est installée en Chine, causant quelques remous 

Cette dernière décennie, les producteurs et les négociants de thé taiwanais ont tourné leurs regards vers le marché chinois. La Chine est le berceau du thé et le deuxième producteur mondial de cette plante, aussi les Taiwanais y ont à relever un rude défi. Mais l'art du thé à la taiwanaise a aujourd'hui la cote en Chine, et quand on achète du thé produit dans l'île, c'est un peu comme si on goûtait à ses valeurs, à sa culture et à son mode de vie.

Il y a quelques mois, les Taiwanais expatriés à Shanghai ont eu la surprise de voir la fameuse maison de thé insulaire Chun Shui Tang s'installer sur la grande artère à la mode, l'avenue Huaihai. La nouvelle s'est répandue comme une trainée de poudre à travers la communauté taiwanaise de Shanghai.

Renouveau pour le thé

Depuis les années 80, Taiwan n'a pas seulement imposé sa propre manière de déguster le thé, l'île a aussi fait renaître en Chine une industrie du thé durement frappée par la Révolution culturelle.

Dans la Shanghai cosmopolite, les insulaires ont ouvert plusieurs maisons de thé de styles nouveaux. Ainsi, RBT et Forest of Flowers se sont d'abord ouvertes il y a quelques années, puis ce fut Chamate, et maintenant Chun Shui Tang, qui a accueilli ses premiers clients en juin 2006.

Le soir, Chun Shui Tang bourdonne d'animation. En terrasse et à l'intérieur, les tables sont toutes occupées. Des petits groupes d'employés de bureau s'y détendent devant une collation et une tasse de thé après une longue journée de travail. Chun Shui Tang, qui existe depuis 24 ans à Taiwan, est en fait une chaîne de 24 maisons de thé dans l'île.

« Ici, nous n'avons pas trop mis l'accent sur le terme Taiwan mais, vu le raffinement de la décoration intérieure et du service, il est facile de comprendre que la direction n'est pas chinoise », explique Erica Liao [廖玫齊], qui dirige Chun Shui Tang à Shanghai avec le titre de « chef de projet ».

Voisine du café Starbucks, la maison de thé fait la synthèse entre le lyrisme traditionnel chinois et des éléments contemporains. L'intérieur est décoré de fleurs fraîches, de reproductions de peintures célèbres et de bibelots originaux. Chun Shui Tang a toujours tenté de s'inspirer des maisons de thé décrites dans les œuvres classiques.

L'endroit se positionne comme une maison de thé culturelle : on y sert le « thé des lettrés » comme à Taiwan, dans une large tasse ou encore le « thé kungfu » servi à la théière. Dans le premier cas, le thé oolong des hautes montagnes, le plus cher - 68 yuans chinois la tasse - est à l'honneur, mais l'on peut porter son choix sur d'autres parfums célèbres, comme le thé noir de Keemun, le longjing de Xihu, le tieguanyin d'Anxi, le yancha de Wuyi, le biluochun de Suzhou ou le pu'er du Yunnan. Si l'on commande une pleine théière, le choix comprend également l' oolong des hautes montagnes, mais aussi le suishen , le guanyin et le luohan de fer (tieluohan).

« Le thé de Taiwan, comme l'oolong cueilli en altitude dans les montagnes du centre de l'île, est très apprécié en Chine , dit Erica Liao. Mais si les Chinois du Nord préfèrent les thés aux fleurs et les Shanghaiens le thé vert, c'est tout de même le tieguanyin d'Anxi qui se vend le mieux. »

Par ailleurs, on sert beaucoup de boissons fraîches à base de thé, aux fleurs, aux fruits, au lait, etc.

Des tendances affirmées

L'art du thé taiwanais ne se limite pas au « thé kung-fu » : le thé à bulles et le thé perlé au lait, très caractéristiques de l'île, ont été créés par Chun Shui Tang respectivement en 1983 et en 1987. Ces deux boissons sont toujours à la mode à Taiwan, et aujourd'hui, la célèbre maison de thé les sert aussi en Chine.

En fait, d'autres commerces vendaient ces spécialités insulaires à Shanghai depuis cinq ans déjà, mais c'est bien Chun Shui Tang qui en est le véritable créateur.

En 1983, Liu Han-chieh [劉漢介], aujourd'hui directeur général de Chun Shui Tang, ouvrait à Taichung Yanghsien Tea - précurseur de l'actuelle maison. Son commerce vendait alors du thé en vrac et des ustensiles pour préparer cette boisson. C'est un séjour à Osaka (Japon) où il remarqua que les gens buvaient du café chaud additionné de glace qui lui inspira le « thé à bulles ». Il a immédiatement pensé que, par les journées de canicule, le café pouvait être remplacé par le thé. Il acheta un shaker et mélangea du thé avec du sucre et des glaçons. Le résultat produit un thé glacé à la surface de laquelle se forme une fine mousse, les « bulles ». Cette boisson a fait redécouvrir le goût du thé aux jeunes Taiwanais.

Avec la clientèle des étudiants des universités Tunghai et Feng Chia, les affaires de Liu Han-chieh prirent de l'essor. Bientôt, on a pu voir un peu partout des shakers servant à préparer ladite boisson. Les verres à cocktail étaient devenus un amusement pour les jeunes, une nouvelle façon d'apprécier le thé.

Le thé perlé au lait doit sa création à un concours de circonstances. Lin Hsiu-hui [林秀蕙], une des directrices de Chun Shui Tang, en est à l'origine. Ayant toujours adoré manger du tapioca, elle en apportait à la maison de thé pour le partager avec ses collègues. Un jour, elle eut l'idée d'en mettre dans son thé au lait. Trouvant le résultat intéressant, elle demanda à ses collègues ce qu'ils en pensaient, et tous en apprécièrent la saveur. Aussitôt, elle le proposa à la carte. Ainsi était né le thé perlé au lait.

Comme le thé à bulles, le thé perlé au lait a fait sensation. La mode s'est vite répandue dans les communautés chinoises à travers le monde.

Goûts différents

Si Chun Shui Tang a innové à Taiwan, c'est tardivement que la maison s'est tournée vers le marché chinois. Erica Liao explique que, ces dernières années, la maison mère s'est occupée d'élargir son réseau dans l'île sans trop s'inquiéter des débouchés extérieurs. Cela s'est décidé l'année dernière après que la direction eut trouvé un partenaire et jugé le temps opportun pour franchir le détroit. Chun Shui Tang collabore avec Jollibee Foods Corporation, une des 100 premières firmes des Philippines, qui a racheté la chaîne de restaurant Yongho Tawang, pour pénétrer plus rapidement le marché chinois.

Chun Shui Tang projette d'ouvrir d'autres maisons de thé à travers la Chine dans les 5 ans, en particulier dans les régions ayant un rapport historique étroit avec le thé, comme Pékin, le Jiangsu, l'Anhui, le Zhejiang, le Guangdong et le Fujian.

En s'établissant à Shanghai, la firme taiwanaise a tout de même dû s'adapter aux goûts locaux. Par exemple, en Chine, il faut servir de plus larges rations de riz. De plus, les insulaires préfèrent en général la cuisine légère et des ingrédients sains, alors que les Chinois préfèrent les saveurs plus prononcées.

Erica Liao constate d'ailleurs que, d'après une analyse marketing faite sur 6 mois d'exploitation, les clients à Taiwan viennent plus à Chun Shui Tang pour prendre le thé qu'un repas, alors que c'est l'inverse à Shanghai.

D'une certaine manière, ce n'est pas du thé qu'on vend dans ces établissements, mais un art de vivre.■



Un produit phare

A Taiwan, le prix du thé de qualité supérieure atteint souvent des milliers de dollars taiwanais le catty (une mesure locale équivalent à environ 600 g). Ce ne sont pas tous les produits de l'agriculture insulaire qui marchent aussi bien.

« Au moins la moitié de sa valeur est culturelle », précise Tsai Jung-chang [蔡榮章], directeur général du Centre Lu Yu des arts et de la culture, à Taiwan. Le thé est une boisson qui désaltère et éveille les sens et l'esprit, assure-t-il. Dans le passé, il était cultivé de façon intensive, tant à Taiwan qu'en Chine. Depuis quelques années, afin de satisfaire la demande intérieure, la Chine donne plus de valeur à ses thés en leur ajoutant une touche culturelle.

Chan Hsun-hua [詹勳華], propriétaire de Chinhutang Tea, travaille dans le domaine depuis plus de 20 ans. Selon lui, Taiwan a toujours devancé la Chine pour l'art du thé, et elle préservera cette avance encore pendant un certain nombre d'années.

Wang Tuan-kai [王端鍇], le propriétaire de Geow Yong Tea, une plantation familiale créée il y a plus de 160 ans, et qui préside l'Association des négociants de thé de Taipei, insiste lui aussi sur l'aspect culturel : « Le thé à Taiwan est raffiné et élégant ; en Chine, ce n'est pas le cas. » C'est que le thé a terriblement souffert pendant la Révolution culturelle. Mais la production qui avait alors régressé s'est depuis rattrapée.

Pour maintenir leur avantage, les Taiwanais doivent créer des appellations contrôlées. « Un peu comme une effigie du Bouddha a besoin d'être dorée, le thé doit avoir un emballage qui lui est propre », explique Wang Tuan-kai.


L'art du thé

En Chine, la façon dont on boit le thé a changé au fil du temps. Autrefois, il était bouilli comme une potion médicinale et consommé avec ses feuilles comme une soupe. Ce n'est pas avant la dynastie des Ming (1368-1644) que l'on s'est mis à infuser les feuilles. Le style de service à thé utilisé à Taiwan, avec ses petites tasses ou coupelles et ses minithéières, date de la dynastie des Qing (1644-1912) en Chine.

Les maisons de thé à Pékin avec leurs traditionnels conteurs et acteurs sont des lieux d'art et de culture. A Canton, où elles sont omniprésentes, il est de coutume de s'y installer un moment le matin avant d'aller travailler ou les jours de congé. Là, on lit les journaux, on bavarde et on échange des idées. Taotaoju, l'une d'entre elles, ouverte depuis plus d'un siècle, est remplie même les jours de semaine. Certains se contentent de thé, d'autres commandent aussi des dim sum - sortes d'amuse-gueule et de friandises salées ou sucrées -; les uns bavardent, les autres plongent la tête dans leur journal. Beaucoup y passent la journée.

Dans la région de Chaozhou et de Shantou, dans l'est de la province du Guangdong, la coutume veut qu'on serve le repas avec du thé. Au restaurant, les clients commandent d'abord le thé. Par ailleurs, les chambres d'hôtel sont toutes pourvues du nécessaire pour faire du thé.

Au Yunnan, dans le sud de la Chine, où est produit le pu'er, les peuples des différentes minorités nationales ont chacune leur manière de préparer et boire le thé. Chez le peuple bai, par exemple, on en sert successivement trois : le premier est amer, le deuxième est sucré et le troisième est subtile, par analogie aux trois stades de la vie.

Les plus lus

Les plus récents