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La tradition de l'avant-garde

01/02/2007
Lors d'un concert improvisé à Huashan, Lala vend les CD du groupe.

>> Quelque part entre tradition musicale taiwanaise et avant-gardisme internationalisé, le chanteur Hsiao Ying et les Clippers avancent à leur rythme, sans se soucier le moins du monde des conventions.

Lors du dernier Festival des « indés » qui se déroulait le temps d'un week-end en novembre dernier dans l'enceinte du Parc culturel de Huashan, en plein cœur de Taipei, les spectateurs étaient venus nombreux pour assister aux concerts successifs. A l'extérieur aussi, juste avant d'arriver au guichet, l'attroupement était permanent : sur l'esplanade, les trois membres des Clippers [夾子] avaient décidé de donner une représentation fleuve et gratuite.

Cette démarche correspond bien à l'état d'esprit du fondateur et chanteur de ce groupe, Hsiao Ying [小應], qui reprend ainsi le flambeau des artistes taiwanais de jadis et qui, comme ses aînés, se sent avant tout au service de son public. Aujourd'hui, les Clippers savent mieux que personne faire coexister modernité internationalisée et tradition musicale locale. Un savant équilibre qui frise parfois l'avant-garde et qui est le fruit d'une dizaine d'années de création musicale.

Trouver sa voie

Les Clippers voient le jour en 1995, sur l'initiative du chanteur Hsiao Ying. C'est lui, qui dès les débuts, imprime sa marque à la formation. « A l'époque, le groupe était plutôt du genre expérimental. Ce qui m'intéressait, c'était de trouver des sonorités particulières. »

Après une première année passée à se chercher, les Clippers se dirigent rapidement vers un rock qui déjà présente certaines caractéristiques que l'on retrouve encore aujourd'hui dans leur répertoire, comme la présence d'airs nakashi (voir encadré) et du synthétiseur. Côté chant, Hsiao Ying adopte ce qu'il appelle la technique du « two men talk » qui consiste à instaurer un dialogue à deux. Et comme il n'y a qu'un seul chanteur, eh bien, il interprète lui-même les deux voix ! Mais pour Hsiao Ying, très influencé par la tradition musicale taiwanaise, les concerts du groupe manquent alors d'énergie. « Les spectateurs n'étaient pas très concentrés. Ils se contentaient d'applaudir à la fin des chansons. C'est la raison pour laquelle j'ai commencé à travailler mon jeu scénique et qu'en 1998, j'ai intégré deux danseuses dans le groupe. » Le rôle des danseuses n'est pas véritablement d'interpréter des chorégraphies élaborées. Il s'agit beaucoup plus d'expression corporelle. Leur travail consiste à imprégner un certain rythme en suivant à la fois la musique et les paroles.

En l'an 2000 sort Turn on the Discoball, le premier album des Clippers sous le label Taiwan Colors Music. C'est un feu d'artifice musical où s'entremêlent rock, folk, nakashi, mélodies faussement naïves et accents de marches militaires. Les paroles des douze chansons sont tour à tour absurdes ou décalées, mais dépeignent à merveille la réalité sociale taiwanaise de ce début de XXIe s. Plus de 7 000 exemplaires sont vendus en quelques mois, un record à l'époque pour un groupe dit underground. Viennent alors les interviews et les invitations aux shows télévisés. Les Clippers sont même élus meilleur groupe taiwanais par la chaîne de télévision Channel [V]. Pourtant, cela n'entame en rien l'humilité du chanteurcompositeur Hsiao Ying qui continue de donner des concerts gratuits devant les temples ou sur les marchés, s'inscrivant ainsi dans la plus pure tradition taiwanaise. Les choses vont aller ainsi quatre années durant.

Rester aux avant-postes de la création

Sur l'album intitulé Une idée tombée du ciel, qui sort en 2005, on observe de grands changements. Si l'esprit est resté le même, la musique s'est faite plus électronique et la composition du groupe est désormais limitée à trois personnes.

« J'avais fait du rock pendant sept ou huit ans, explique Hsiao Ying, mais je me suis rendu compte que le processus de création n'était pas aussi efficace que ce que j'espérais. Je voulais trouver un moyen plus simple de faire de la musique, car le rock demande une certaine logistique. La musique électronique m'a paru le meilleur médium : il suffit d'un ordinateur. »

En 2004, alors que Hsiao Ying s'est séparé de ses musiciens, il rencontre DJ Ty [DJ 鈦] dans les locaux de Taiwan Colors Music. Depuis, les deux hommes travaillent ensemble en compagnie de l'une des deux danseuses, car Hsiao Ying n'a pas abandonné son concept de spectacle total. « Moi, je m'occupe des arrangements et du chant. DJ Ty fait son travail de DJ en mixant les sons, et LaLa [辣辣] danse. »

Aujourd'hui, les Clippers semblent avoir retrouvé leur vocation initiale. Leur musique est expérimentale et inclassable, les textes parlent plus que jamais de la société taiwanaise et de ses défauts. « Nous utilisons toute sortes de mélodies pour évoquer les problèmes de société ou mieux comprendre la nature humaine : ce peut être de la musique techno, du folk, du rhythm'n'blues, du jazz ou du disco. »

Les Clippers établissent un véritable pont entre tradition taiwanaise et modernité inéluctable. De l'avis de tous, ce groupe est l'un des rares à préserver un véritable patrimoine tout en restant ouvert à la création. « Je m'appuie sur la musique d'autrefois, ma manière de chanter ressemble par exemple beaucoup à ce que faisaient les chanteurs populaires d'antan , explique Hsiao Ying. Mais dans le même temps, j'ai la volonté de rompre avec ce passé et de me tourner vers l'avenir. Finalement, ma manière de préserver le patrimoine taiwanais, c'est de m'intéresser à ce que la plupart des gens considèrent comme indigne, comme le fait de parler le chinois mandarin avec un fort accent taiwanais. Moi, cela m'inspire des textes. »

Et c'est justement en allant puiser dans ce patrimoine que les Clippers se sont hissés à l'avant-garde de la scène indépendante taiwanaise. La meilleure preuve : le spectacle radiophonique basé sur Le cercle de craie caucasien , une pièce de Bertolt Brecht adaptée par Hsiao Ying.■



The Clippers en 5 albums

2000 Turn on the Discoball [轉吧,七彩霓虹燈!Zhuan ba, qi cai ni hong deng ! ]
2003 Je ne sais pas parler taiwanais* [我不會說台語  Wo buhui shuo taiyu]
2005 Une idée tombée du ciel * [突發奇想 Tu fa qi xiang]
2006 Tout n'est que futilités* [一切的一切都是哈啦!Yiqie de yiqie dou shi hala !]
2006 Le cercle de craie caucasien, spectacle radiophonique* [ 高加素灰蘭音樂廣播記 Gaojiasu huilan yinyue guangboji ]

* Pas de traduction officielle en anglais


La musique nakashi

La musique nakashi apparaît à Taiwan durant l'occupation japonaise et se développe à partir des villes portuaires de Tamsui et de Keelung, situées au nord de l'île. Dans les premières années du XXe s., les marins japonais jouent dans les bars une musique issue de l'enka (sorte de musique country japonaise). Au fil des décennies, cette musique, accompagnée de textes souvent empreints de mélancolie, s'est taiwanisée, se mélangeant aux airs traditionnels venus de la province chinoise du Fujian et au folklore local.

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