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Le plus haut toit du monde

01/04/2004
Taipei 101 vue du mémorial Sun Yat-sen.

>> Les ascenseurs les plus rapides du monde, une sphère dorée de 660 t pour amortir les vibrations... Malgré des dehors somme toute très classiques, la tour Taipei 101 a de quoi intriguer les amateurs d’architecture moderne

Au cours des trois dernières années, la tour Taipei 101 a poussé sous le regard attentif des habitants de la capitale. Il est vrai qu’on peut difficilement ne pas la voir : avec ses 508 m au garrot, c’est aujourd’hui le plus haut building du monde. Ce qui n’est toutefois pas toujours apparent aux yeux des citadins pressés, c’est le mariage de la haute technologie et de l’architecture chinoise traditionnelle que cache sa façade étincelante.

L’architecte qui a signé les plans, Wang Chung-ping [王重平], explique avoir cherché à créer non pas seulement un point de repère, un emblème de Taipei, mais aussi un endroit apprécié pour lui-même. « La tour est si haute que nous savions qu’elle deviendrait un symbole. Mais faire en sorte qu’elle reflète la culture locale, quelque chose que les gens apprécient, là était le défi. »

C.P. Wang et son associé, C.Y. Lee [李祖原], n’en sont pas à leur coup d’essai. Ce sont par exemple eux les concepteurs de la tour Grand 50 et de la Tuntex Sky Tower à Kaohsiung. En 1997, cette dernière avait ravi à la tour Shinkong Life, qui fait face à la gare de Taipei, le titre de plus haut gratte-ciel de Taiwan.

Les architectes ont exploré quantité de possibilités avant de se fixer sur l’idée de huit sections, chacune de huit étages, composant la partie médiane de la tour. Huit, dit C.P. Wang, était le meilleur chiffre-clé pour un gratte-ciel destiné à devenir le centre finan cier de Taiwan. En effet, le mot huit (ba) étant phonétiquement proche du mot prospérité (fa), il est, dans l’ensemble du monde chinois, largement perçu comme bénéfique aux affaires. Il revient donc assez souvent dans les plaques minéralogiques, les adresses ou les numéros de téléphone des sociétés. Ce n’est pas une coïncidence si la tour Jin Mao, à Shanghai - la 5e du monde par la taille comporte 88 étages.

Pour faire apparaître ces huit sections, C.P. Wang s’est inspiré d’une création relativement récente : les tours de contrôle des aéroports. Les tronçons sont donc plus étroits à la base qu’en leur sommet. « Avec les bâtiments très élevés, si vous regardez vers le faîte, vous ne voyez que les nuages, commente l’architecte. Il faut donc ajouter une perspective. Nous avons trouvé cette solution que je n’ai vu employer nulle part ailleurs. »

Le résultat est particulièrement plaisant, dit-il, parce que la tour rappelle ainsi la forme d’une tige de bambou - symbole de jeunesse et de longévité - surgissant de terre. Mais les architectes ne se sont pas arrêtés là dans leur respect des symboles traditionnels. Ils souhaitaient ajouter à l’édifice tous les traits distinctifs d’un bâtiment chinois classique, plus quelques signes porte-bonheur.

A l’intersection de la base du bâtiment, qui compte 27 étages, et de la première section de la « tige de bambou », on peut par exemple remarquer une structure dont la forme, un cercle enserrant un carré, rappelle celle des anciennes pièces de monnaie chinoises. Sans surprise, celles-ci sont aujourd’hui des symboles de richesse et d’abondance. Comme on attribue aux sapèques le pouvoir d’attirer la fortune, certains en conservent d’ailleurs dans leur porte-monnaie.

Tout aussi apprécié est le ruyi, qui signifie littéralement « selon vos souhaits ». Le ruyi, sorte de sceptre au manche en forme de S se terminant par une volute représentant un nuage ou un lingzhi (un champignon ayant la particularité de pouvoir vivre une centaine d’années), est un symbole de puissance et de pérennité. C’est le ruyi qui a donné ses courbes caractéristiques au toit du centre commercial situé au pied de la tour proprement dite, tandis que le motif du lingzhi apparaît à chaque intersection de la « tige de bambou ».

Enfin, aucune architecture chinoise ne serait complète sans une protection contre les puissances invisibles. Les dragons jouent un rôle de premier plan dans la mythologie chinoise. Ces animaux mythiques sont censés protéger les bâtiments contre les esprits maléfiques et encore aujourd’hui, on peut les trouver représentés dans la décoration des temples ou d’édifices officiels comme le Théâtre national sur l’esplanade du mémorial Tchang Kaï-chek. Ils ont la même fonction que les gargouilles qui ornaient certains édifices au Moyen-Age en Europe. Ainsi la tour Taipei 101 est-elle défendue par des dragons stylisés placés aux quatre coins de chaque section.

La modernité est à l’intérieur

Si la Taipei 101 se drape dans les traditions, elle est résolument moderne à l’intérieur, avec des équipements de communication avancés, des climatiseurs et des parois spécialement étudiées pour améliorer le confort des lieux, ainsi que d’innombrables ascenseurs et escaliers mécaniques qui permettent de se déplacer en un clin d’Ïil à travers le bâtiment.

Ce gratte-ciel à 58 milliards de dollars taiwanais, qui abritera quotidiennement jusqu’à 10 000 personnes, est en prise directe avec le monde grâce à un accès Internet à haut débit et à des équipements de télécommunication cellulaires. Il dispose de quantité de systèmes et équipements d’urgence destinés à assurer des communications ininterrompues avec le monde, quelles que soient les circonstances.

Les dalles de verre qui habillent la façade sont composées de deux plaques emprisonnant une mince couche d’air conduisant peu la chaleur, et elles sont en outre revêtues d’un film réfléchissant les rayons du soleil. Le résultat est une isolation thermique satisfaisante n’obscurcissant pas la vue.

Pour leur permettre de parcourir rapidement les dizaines ou centaines de mètres qui séparent le rez-de-chaussée de leurs bureaux, les personnes qui travailleront dans la tour auront à leur disposition 37 ascenseurs simples - dont les plus rapides du monde qui emmèneront les passagers du rez-de-chaussée à la plate-forme panoramique du 88 e palier en 39 secondes, à la vitesse remarquable de 60 km/h. La tour comporte aussi 34 ascenseurs à double-pont dont 10 pouvant transporter chacun 62 personnes à la fois. En théorie, personne n’aura donc à patienter plus de 30 secondes, mais C. P. Wang reconnaît que ceux dont les bureaux seront situés dans les derniers étages devront changer d’ascenseur deux fois pour y parvenir.

En plus des 77 étages de bureaux, les concepteurs de la Taipei 101 ont réservé deux niveaux aux espaces de soins du corps et installations sportives, et trois aux restau rants. Les 88e, 90e et 100e étages comportent des stations panoramiques. En sous-sol a été aménagé un parking offrant 1 839 places de stationnement pour les voitures et 2 990 emplacements pour les deux-roues. Le centre commercial situé dans le bâtiment à cinq étages qui jouxte la tour a déjà ouvert ses portes : pouvant accueillir jusqu’à 200 000 personnes par jour, il comporte 161 boutiques, une librairie internationale, une immense épicerie fine et 12 restaurants.

Grands titres

Lorsque la tour elle-même sera officiellement mise en service à la fin de l’année, elle détiendra du haut de ses 508 m, un certain nombre de records : plus haute structure, plus haut toit, et plus haut étage « habité » du monde. Dans la catégorie de l’élévation totale, c’est la tour Sears de Chicago qui conservera le titre grâce à ses antennes.

Avec ses 553 m, la tour CN de Toronto reste la plus haute du monde, mais elle n’est pas prise en compte dans le classement des constructions « habitées » parce qu’il s’agit en réalité d’un immense pylône de télécommunications.

La tour Taipei 101 et le centre commercial qui lui est rattaché sont exploités par Taipei Financial Center Corp., un consortium de 14 sociétés taiwanaises qui ont signé un contrat de concession BOT (build-operate-transfer ) de 70 ans avec la municipalité. Celle-ci est propriétaire des terrains sur lesquels la tour a été construite et reprendra à terme la gestion des lieux.

Parmi les actionnaires du conglomérat figurent certains des futurs locataires, dont la Bourse de Taiwan, la banque Chinatrust et l’entreprise privatisée de téléphonie Chunghwa Telecom. Les principaux actionnaires sont toutefois China United Trust and Investment Corp. (21,78%) et China Development and Industrial Bank (19,55%). Le reste des investisseurs est surtout composé de compagnies d’assurances et de banques.

Lin Hong-ming [林鴻明], le président de Taipei Financial Center Corp., dit être fier que la Taipei 101 ait été financée et conçue par des Taiwanais, mais reconnaît que sa construction a nécessité le saroir-faire et la coopération de nombreuses sociétés à travers le monde. « Les architectes sont de Taiwan, dit-il, mais les autres équipes [qui ont participé au projet] sont pour la plupart des joint-ventures. »

Le cabinet new-yorkais Thornton-Tomasetti a par exemple travaillé sur le design structurel avec le taiwanais Evergreen. Les ascenseurs et escaliers mécaniques ont été conçus par la société japonaise Toshiba et son partenaire taiwanais GFC, et la structure métallique est le résultat d’une coopération entre l’entreprise publique taiwanaise China Steel et la japonaise Nippon Steel.

« Il a fallu beaucoup de temps pour assurer la coordination entre les consultants et sous-traitants des divers pays », remarque Lin Hong-ming qui ajoute que chaque équipe avait une approche culturelle différente.

Ces partenariats ont été la source d’une plus grande créativité, comme peuvent le constater les clients du restaurant qui se situe au 87e étage de la tour, à la vue de la boule dorée de 660 t qui oscille imperceptiblement afin que leurs assiettes et leurs bols restent immobiles, et qu’ils ne souffrent pas de nausées sous l’effet du léger balancement de la construction.

Cette sphère de 6 m de diamètre, qui fait partie d’une structure haute de cinq étages, est un amortisseur de vibrations destiné à réduire les effets des rafales de vent qui sans cela feraient osciller la tour. L’amortisseur étonne par sa forme, mais son originalité vient surtout de sa mise en évidence, alors que les mécanismes de ce genre sont en général cachés dans l’ossature des bâtiments. Ici, le dispositif dynamique a été recouvert d’une couche de peinture dorée et exposé sous une structure de verre afin de donner la possibilité aux visiteurs de l’observer en fonctionnement.

Jamieson Robinson, directeur de projet à la société canadienne Motioneering Inc. qui a construit l’amortisseur, explique que le choix de laisser l’instrument apparent a eu une profonde influence sur sa conception. « Je trouve que c’est une excellente idée d’avoir intégré l’amortisseur aussi intimement au thème architectural de la tour, commente-t-il. C’est l’occasion pour nous de montrer comment technologies et architecture d’un tel niveau peuvent se compléter. »

Jamieson Robinson explique que la hauteur et la forme du gratte-ciel, combinées aux fortes rafales qui peuvent affecter Taipei, constituaient un certain nombre de défis technologiques. La capitale se situant dans une région de typhons, l’amortisseur a été conçu pour résister à des conditions environnementales particulièrement difficiles. Il n’a en revanche aucun rôle dans la résistance aux vibrations d’origine sismique. En réalité, le mécanisme a été conçu de manière qu’en cas de tremblement de terre, la sphère ne puisse pas se déplacer de plus de 150 cm, afin d’éviter qu’elle ne déséquilibre la structure.

C.P. Wang reconnaît que la capacité de réaction aux typhons, et plus encore aux séismes, a été l’une des principales considérations lors de la réalisation des plans.

Ces préoccupations ont en un sens été accentuées par le tremblement de terre qui, en mars 2002, a précipité deux grues dans le vide depuis le sommet de la tour - encore inachevée à cette époque-là -, un accident dans lequel cinq personnes ont trouvé la mort. Malgré tout, l’architecte estime que la tour survivra à tous les bâtiments qui l’entourent, quelle que soit la force des éléments qui se déchaîneront contre elle. « C’est un édifice très solide que nous avons ici », dit-il, en ajoutant qu’avec une gestion appropriée, la Taipei 101 se dressera toujours là où elle est dans plusieurs centaines d’années.

Art et feng shui

Non contents d’avoir recours aux dernières technologies étrangères, les concepteurs ont aussi souhaité agrémenter le hall d’entrée d’œuvres d’art du monde entier. Huit installations signées par des artistes originaires d’Europe, des Amériques et d’Asie ont été choisies pour décorer le rez-de-chaussée, dont deux fontaines et un sceau de bronze de 3,3 m sur 3,3 m. Une plaque commémorative sur laquelle seront inscrits les noms de toutes les personnes qui ont participé à la réalisation de la tour, depuis le président du consortium jusqu’aux ouvriers thaïs employés sur le chantier de construction, sera en outre placée à l’entrée.

Les œuvres d’art ne sont pas toutes là uniquement pour être regardées : par exemple, l’une des fontaines protège les lieux du qi négatif en provenance de l’allée qui amène à la tour en ligne directe. Dans la théorie du feng shui, pour se révéler favorable, le qi doit pénétrer à petite vitesse, de façon détournée. Si le qi est trop lent, il stagne, mais s’il est trop rapide, il devient un facteur déstabilisant. En l’occurrence, le qi circulant à cet endroit de façon accélérée, il était nécessaire de placer une fontaine au pied de la tour pour le ralentir à son entrée sur les lieux.

C.P. Wang dit avoir opté pour le pragmatisme vis-à-vis du feng shui. « En général, nous adoptons d’abord une approche logique, dit-il. Une fois que le design est relativement avancé, nous demandons à un géomancien de nous donner son avis. »

L’architecte affirme que le maître de feng shui consulté par les propriétaires du gratte-ciel n’a pas signalé de problème majeur, à part celui de l’allée mentionnée plus haut. Mais il admet que la géomancie est un art ouvert aux interprétations. « C’est comme l’architecture : si vous mettez cinq architectes sur le même projet, il est probable qu’ils seront en désaccord sur certains points, dit C.P. Wang. Néanmoins, j’ai entendu les commentaires de plusieurs géomanciens sur la tour, et ils étaient tous plutôt positifs - il n’y en a qu’un qui l’a trouvé trop élevée. Nous avons finalement suggéré qu’un seul maître de feng shui soit consulté. »

Taipei 101 ne restera pas indéfiniment la plus haute tour du monde, c’est fatal. Plusieurs bâtiments en cours de construction lui raviront la palme une fois achevés. Cela ne chagrine pas C.P. Wang. « Bien sûr, c’est le rêve de n’importe quel architecte de réaliser le plus haut gratte-ciel du monde. Mais nous savions qu’il y aurait des tours plus hautes, alors nous nous sommes concentrés sur la personnalité de l’édifice. Maintenant, la Taipei 101 répond- elle aux aspirations du public ? Je ne sais pas, mais j’ai l’impression que tout le monde l’apprécie. »

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