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Shihsanhang : sur les traces des premiers habitants

01/08/2003

>>Le musée archéologique de Shihsanhang, dans le hsien de Taipei, a été inauguré le 24 avril dernier. Il abrite les vestiges de fouilles menées sur ce site qui ont permis de se faire une meilleure idée de la vie de ses premiers habitants, il y a près de 1 800 ans

Avant de rejoindre la mer, la Tamsui s’incurve paresseusement entre le bourg touristique qui porte le même nom, sur la rive droite de l’estuaire, et la commune de Pali, sur sa rive gauche. Si la vision poétique et pittoresque des couchers de soleil sur la petite ville de Tamsui est appréciée depuis longtemps, Pali peut à son tour, grâce à son musée, profiter d’une place au soleil.

Une conception originale
Le musée archéologique de Shihsanhang, premier établissement de ce type dans le nord de Taiwan, s’étend sur près de 12 000 m2, et sa construction a coûté 380 millions de dollars taiwanais. Son architecture s’inspire de styles distincts, symbolisant la connexion entre la montagne et la mer, le passé et le présent. La structure en forme d’arche se développe en suivant un plan qui représente l’océan. La douce courbe du toit évoque les dunes des environs de Shihsanhang ou encore le dos arrondi d’un dauphin émergeant de la mer. Un large escalier extérieur conduit le visiteur au toit aménagé en une agréable terrasse panoramique. Construit en béton sur trois étages, le bâtiment en lui-même symbolise la montagne. On quitte le musée par un autre escalier bordé de deux hauts murs parallèles et orienté vers le mont Kuanyin, au pied duquel, sur le site de Tapengkeng, furent découverts les vestiges de la culture de Yuanshan dont on a également trouvé des traces à Shihsanhang.

Pendant la visite, les changements de repères spatiaux se succèdent pour rappeler que le site a été occupé pendant plusieurs siècles. Il faut toutefois noter que l’originalité architecturale du bâtiment ne compense pas le choc visuel suscité par le voisinage des citernes d’une usine de retraitement des eaux usées. Les architectes sont néanmoins parvenus à atténuer ce malheureux contraste en attirant le regard vers le large escalier du musée qui conduit au toit transformé en terrasse. Lorsque l’on se tient sur cette terrasse, on se tourne infailliblement vers l’horizon grandiose, où la mer et le ciel se rejoignent. La construction « destructurée » fait penser à des ruines majestueuses, vestiges d’une civilisation oubliée ; elle traduit aussi les difficultés qu’il y a à redécouvrir une période dont on n’a gardé aucune trace écrite.

On descend l’escalier – ou on le contourne – pour arriver à l’entrée même du musée, sorte d’accès voûté à un trésor archéologique souterrain. C’est alors que se pose une question : d’où vient le nom de Shihsanhang, littéralement « les treize maisons de commerce » ?

Shihsanhang, l’autre nom du village de Tingku, sur la commune rurale de Pali, dans le hsien de Taipei, fut un important port de commerce pendant la dynastie Qing. Treize (shihsan) maisons de commerce (hang) s’y étaient alors établies. Par la suite, lorsque les quartiers de Mengchia (aujourd’hui Wanhua) et de Tataocheng (la rue Tihua), à Taipei, prirent de l’importance, Shihsanhang perdit la sienne pour redevenir un petit village de pêcheurs.

L’histoire se réveille
L’histoire de la découverte du site de Shihsanhang ne manque pas d’intérêt. En 1955, alors qu’il passait aux commandes de son appareil à la verticale du village de Tingku, le major Pan Ke-yung constata que sa boussole était soudainement devenue folle, dénotant une évidente abbération du champ magnétique. Pour l’officier, une seule explication : le sous-sol de l’endroit qu’il venait de survoler renfermait un fort gisement de métal.

Deux ans plus tard, accompagné du géologue Lin Chao-chi et d’une compagnie d’exploration minière, il entreprit de mener des recherches sur place. De nombreux fragments de scories de fer furent alors mis au jour, témoignant de l’existence d’une fonderie primitive. Les annales chinoises et japonaises étant silencieuses à ce sujet, Lin Chao-chi conclut qu’il devait s’agir d’un site datant d’une période plus ancienne, précédant probablement l’arrivée des premiers colons chinois.

Shihsanhang : sur les traces des premiers habitants

Le musée de Shisanhang : une architecture extraordinaire.

Deux autres années s’écoulèrent avant que, sous la conduite de Shih Chang-ju, une équipe d’archéologues de l’université nationale de Taiwan mène à l’endroit même une brève campagne de fouilles. Des vestiges préhistoriques variés furent exhumés – des tessons de poteries, de la vaisselle en pierre et en fer, des objets en verre, ainsi que plusieurs tombes.

Les archéologues émirent alors l’hypothèse que la population de Shihsanhang était étroitement liée aux Ketagalan, une tribu aborigène pingpu (des plaines) disparue il y a une cinquantaine d’années. Le site archéologique de Shihsanhang acquit une certaine notoriété, faisant même l’objet de mentions dans la revue de préhistoire du hsien de Taipei. Des archéologues allèrent y travailler régulièrement. En 1988, grâce à une initiative de la commission d’Etat des Sciences, Tsang Chen-hwa, Liu I-chang et d’autres spécialistes du département d’archéologie de l’Institut d’histoire et de philologie de l’Academia Sinica commencèrent officiellement l’exploration du site.

Un site protégé
Alors même que des recherches poussées avaient commencé, la construction d’une usine de traitement des eaux usées fut projetée sur le site, dans les années 80. Les travaux, qui débutèrent en 1989, visaient à édifier des bassins de décantation et de filtrage.

Alertée par les médias, l’opinion publique s’est émue, et un mouvement de protection du site et de ses vestiges a vu le jour. En novembre 1991, cédant devant les critiques, le ministère de l’Intérieur classa enfin l’endroit, protégeant ainsi une superficie de 3 161 m2. En 1995, les pouvoirs publics décidèrent de réserver un terrain adjacent pour la construction d’un lieu d’exposition consacré aux vestiges exhumés à cet endroit. Lorsque les travaux commencèrent en 1998, le projet fut transformé en musée archéologique.

Que nous révèlent les objets découverts et conservés à Shihsanhang ? Tsang Chen-hwa explique que la culture de Shihsanhang remonte à l’âge du fer dans le nord de Taiwan, qui commença il y a environ 2 300 ans et continua jusqu’à l’arrivée des chinois Han dans cette région.

Une des caractéristiques principales de Shihsanhang est que les articles en pierre y sont rares : quelques récipients, des outils utilisés pour taper mais pas pour couper. Par contre, la découverte de minerais de fer, de scories et de charbon de bois indique que les premiers habitants de l’endroit savaient déjà fondre le fer et en faire des lames. On trouve également un matériel céramique important, principalement des poteries brun-rouge, dont la pâte, composée d’argile et d’une forte proportion de sable, a été cuite à haute température. Les formes les plus communes sont celles de jarres ventrues à fond plat munies d’une petite ouverture ou d’un bec verseur, de bassins à larges bords pincés, décorés de motifs variés où prédominent des croisillons carrés ou obliques ou de motifs circulaires. Les terres cuites brun clair, moins nombreuses, présentent souvent un motif à la corde, rarement rencontré sur les pièces d’une autre couleur. Des céramiques plus soignées ont été façonnées dans un argile gris foncé de texture plus fine et coloré avec de la cendre. Il s’agit de jarres et de vases pansus à petite ouverture dont la surface a été lissée et polie. Un motif de lignes interrompues et de cercles entoure la partie supérieure de ces récipients. Enfin, aux articles utilitaires précédemment décrits, s’ajoutent des figurines représentant des personnages et des animaux également en terre cuite.

Le site de Shihsanhang a aussi livré des bracelets, des boucles d’oreilles et des perles de verre, d’agate ou d’autres matériaux. On y a exhumé encore des objets non indigènes, témoins d’activités commerciales avec d’autres régions : bijoux en or, bols en bronze, ornements tubulaires en argent, manches de couteau, bols, cloches et monnaies en cuivre.

Les objets parlent
La richesse du site de Shihsanhang est éloquente. Les fouilles menées par les archéologues depuis dix ans ont montré qu’au moins trois peuplements distincts se sont succédé sur le site. Le plus ancien remonte à la culture de Yuanshan, il y a 2 000 ans, à la fin du néolithique. La période d’occupation fut sans doute brève, car les vestiges sont peu nombreux. On peut imaginer qu’ayant trouvé la côte venteuse et inhospitalière, cette population décida de s’installer un kilomètre plus loin, au nord-ouest du mont Kuanyin, sur le site de Tapengkeng, là où d’autres vestiges de la même culture ont été découverts.

Shihsanhang : sur les traces des premiers habitants

Les chantiers de fouilles ont été recréés dans les salles d’exposition du musée.

Puis, il y a 1 800 ans, une autre population s’est installée à Shihsanhang, développant ce que les archéologues définissent comme « la culture de Shihsanhang » – vraisemblablement des ancêtres des Ketagalan dont le peuplement sur le site dura plus de 1 000 ans. C’est de cette période que date l’essentiel des vestiges découverts lors des fouilles : objets, traces d’habitats et nombreuses sépultures. Enfin, les derniers occupants furent les immigrants chinois Han, qui vinrent de la province du Fujian pendant la dynastie Qing et fondèrent un village à cet endroit.

La découverte du site de Shihsanhang est un événement majeur, car elle permet d’éclairer le passé préhistorique de l’île, c’est-à-dire avant l’arrivée des Chinois. Les résultats des fouilles archéologiques ont permis de reconstituer la vie quotidienne à Shihsanhang, il y a plus de 1 000 ans. Ainsi, le riz y était cultivé et constituait la base de l’alimentation, complétée en abondance par les ressources de la chasse, en montagne et en forêt, et de la pêche marine et fluviale, ainsi qu’en ont témoigné les fouilles des fosses à détritus. La découverte de motifs de tissage repris sur certaines céramiques permet de penser que la population préhistorique de Shihsanhang savait tisser et sans doute fabriquer de simples vêtements. Elle vivait dans des maisons sur pilotis, pour se protéger de l’humidité et de l’intrusion d’animaux indésirables – ce style d’habitation était commun à plusieurs peuplades aborigènes de Taiwan jusqu’il y a un demi-siècle.

Les habitants de Shihsanhang qui arrivèrent plus tardivement voyageaient sur les mers. Leurs contacts avec d’autres régions de l’Asie du Sud-Est et le Pacifique sont attestés par la présence sur le site de nombreux objets importés, tels que des céramiques non indigènes, des objets en bronze, des pièces de monnaie chinoise, des perles en verre… Il semble que les habitants de l’endroit ont été non seulement des artisans qualifiés, mais aussi de bons commerçants.

La part du mystère
A Shihsanhang, les défunts étaient ensevelis en position fœtale, la tête orientée en direction du sud-ouest. Les articles funéraires comprenaient des céramiques, des perles et des objets en or. L’étude des squelettes montre également que les habitants de Shihsanhang sont les ancêtres directs de certains aborigènes taiwanais. Ils aimaient mâcher des noix d’arec ou des feuilles de tabac, ainsi que bavarder et manger en position accroupie.

Malgré tout ce que les fouilles nous ont révélé, des mystères subsistent. On ignore encore pourquoi la population de Shihsanhang s’est soudainement volatilisée, après avoir occupé le site pendant plus de 1 000 ans.

En tout cas, l’étude de la disposition des tombes, du style des céramiques et des coutumes permet d’avancer que les Ketagalan sont bien les descendants directs de la population de Shihsanhang. Il faudra cependant attendre les résultats d’analyses de l’ADN prélevé sur les ossements humains retrouvés là pour en être certain. ■

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