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Taichung : le défi du changement

19/05/2011
La nouvelle ville de Taichung est désormais dix fois plus importante que l’ancienne. Dotée d’un aéroport et d’infrastructures portuaires, on attend qu’elle projette le centre de l’île vers le futur. Ici, le siège de la nouvelle municipalité spéciale.
Située au centre de l’île, Taichung est l’une des trois nouvelles municipalités spéciales issues de la réforme de 2010. Résultat d’une fusion avec l’ancien district, la nouvelle collectivité territoriale concentre 2,63 millions d’habitants. Jusqu’alors enclavée, elle combine désormais de larges zones rurales et montagneuses, ainsi qu’un littoral avantageux doté d’infrastructures portuaires et aéroportuaires. Pour Taichung, le défi est de faire évoluer les modes de gestion et d’intégrer autant de ressources et de cultures différentes.

La municipalité spéciale de Taichung est aujourd’hui la deuxième par la taille et la troisième par la population à l’échelle nationale, juste derrière celle de Kaohsiung qui a aussi bénéficié de la fusion des deux échelons administratifs. Les 2 200 km² du Grand Taichung ont la forme d’une cuillère chinoise. L’ancien district représentait un entrelacement complexe de zones rurales aux ressources naturelles et culturelles variées. A l’est – le manche de la cuillère – on trouve trois arrondissements montagneux : Heping, Dongshi et Xinshe. Heping, le plus étendu, produit des fruits et des légumes tout au long de l’axe routier qui traverse l’île. Dongshi et Xinshe sont connus pour leur importante communauté hakka et le second possède une industrie touristique naissante. Dans le nord, en comparaison avec Fengyuan, l’ancien chef-lieu de district, Tanzi est beaucoup plus industrialisé. Houli est, quant à lui, réputé pour sa poterie. Dans le sud, les arrondissements de Dali et Taiping présentent un tissu également très industrialisé et Wufeng abrite la résidence ancestrale de la famille Lin ainsi que l’ancien Conseil consultatif de la Province (un échelon administratif qui chapeautait tous les districts de l’île et qui a été mis en sommeil en 1999). A l’ouest, forts de leurs secteurs de la pêche et de l’aquaculture, on trouve les arrondissements du littoral : Dajia, Qingshui, Wuqi et Longjing.

Une relation administrative conflictuelle ?

Le Grand Taichung (Carte réalisée par Coral Lee et Tsai Chih-pen / Taiwan Panorama)

La transition entre l’ancienne et la nouvelle architecture territoriale n’est pas exempte de difficultés. Les maires des communes et les chefs des cantons, deux échelons administratifs auparavant sous l’autorité de l’ancien district, sont désormais nommés par l’administration de la municipalité spéciale alors qu’ils étaient élus au suffrage universel direct. Ils assument dorénavant la fonction de chefs d’arrondissement tandis que les chefs de canton se sont mués en fonctionnaires cantonaux. En somme, cette petite armée d’élus locaux a laissé dans la réforme son influence et ses pouvoirs.

Chen Tingxiu [陳廷秀], le chef de l’arrondissement de Wuqi, explique que l’ancien maire avait pris l’habitude de sponsoriser les fêtes traditionnelles tout au long de l’année. En 2011, il a dû envoyer le projet au service des Affaires culturelles et de l’Education de la municipalité spéciale qui concentre désormais l’ensemble du pouvoir décisionnaire dans ce domaine. Il ignore quelle sera la décision finale et craint que cette politique ne cesse. Le cas de la gestion des ordures ménagères est aussi, selon lui, très emblématique des problèmes posés par la fusion administrative : jusqu’à la réforme, le service technique municipal acceptait de faire des heures supplémentaires le samedi pour fournir un service d’enlèvement et de tri très apprécié des usagers. En outre, les employés se satisfaisaient du complément de salaire que représentaient les heures supplémentaires nécessaires à la fourniture de ce service. Aujourd’hui, avec la centralisation des pouvoirs de décision, celui-ci a été supprimé et les usagers en sont à s’interroger sur les bienfaits de la réforme.

Rétrogradation

« Les fonctionnaires de la municipalité spéciale ne comprennent rien aux anciennes communes rurales. Ils ont l’habitude d’une gestion urbaine des affaires et leurs manières sont source de conflits ici. Il est grandement nécessaire qu’ils visitent les campagnes et s’attèlent à leur étude pour comprendre comment elles se gèrent », explique Xie Zhizhong [謝志忠] un conseiller municipal de la circonscription de Fengyuan-Houli.

« Aujourd’hui, seuls 4 des 20 hauts fonctionnaires de la municipalité spéciale sont issus de l’ancienne administration. La plupart des anciens hauts fonctionnaires du district sont, au mieux, devenus chefs-adjoints de service alors que, sur le papier, l’ancienne municipalité et l’administration districtale jouissaient d’une égalité statutaire. La fusion aurait dû déboucher sur une seule nouvelle collectivité locale mais cela n’a pas été le cas, c’est la municipalité qui a tout absorbé, au détriment du district. » Selon lui, cela a pour conséquence négative de provoquer une forte démotivation au sein des services administratifs du bas de l’échelle.

Pour appuyer son propos, Xie Zhizhong donne l’exemple de l’îlotage civil, une pratique très développée à Taiwan. La nouvelle administration a annoncé qu’elle ne subventionnerait que les équipes d’îlotage au sein des arrondissements de plus de 4 000 habitants. Certains arrondissements ruraux ont donc été privés des ressources qui, auparavant, étaient distribuées par l’administration districtale, ce qui a conduit à un démantèlement des équipes. Pour un grand nombre d’administrés, c’est la sécurité et la tranquillité publiques qui en pâtissent.

La lutte pour les politiques de long terme

 

Les zones humides de Gaomei, à Qingshui, représentent un trésor écologique inestimable.

De son côté, Yu Hui-yuan [淤惠遠], la directrice du département des Industries culturelles et créatives de l’Université nationale de technologie Chin-Yi, à Taichung, explique qu’elle a commencé à travailler avec l’administration du district, il y a 3 ans, sur la problématique de l’histoire orale des artistes de Taichung durant l’époque japonaise. Taichung a produit des artistes tels que Liao Chi-chun [廖繼春] ou Lin Chi-chu [林之助].

Pourtant, on ne dispose que de peu de documents sur cette période de l’histoire de l’art taiwanais dans la région. Une coopération a été développée avec le Musée national des beaux-arts de Taiwan et le Centre des arts du port maritime, ce qui a permis la mise en valeur de documents historiques d’une certaine importance. Avec la réforme administrative, Yu Hui-yuan s’inquiète beaucoup de la pérennité du projet, d’autant plus que la nouvelle administration n’a pour le moment donné aucun signe positif en faveur de sa poursuite.

Plusieurs programmes et activités lancés pour certains il y a une dizaine d’années, permirent ainsi l’épanouissement de la culture locale par le biais d’une politique très libérale et de la création de trois centres artistiques dans le district. Certains objets du Musée national du Palais furent même exposés au sein de ces centres. Malheureusement, la réforme administrative a fait basculer leur gestion sous l’autorité de la municipalité spéciale. « Ces centres, privés de leur autonomie, sont maintenant relégués en bas des priorités de la nouvelle municipalité spéciale qui ne fait appel à eux que pour des expositions ne trouvant pas leur place dans les structures muséales en milieu urbain », regrette l’universitaire.

Un nombrilisme urbain ?

 

Ces 10 dernières années, la municipalité de Taichung a reclassé en zone constructibles de larges portions de terres agricoles. Le paradigme du développement à tout prix semble menacer, aujourd’hui, les campagnes de l’ancien district.

Toutefois, la plupart des administrés de Taichung veulent croire à de simples problèmes de communication entre le centre urbain et les arrondissements ruraux les plus lointains, inévitables au début mais finalement temporaires. Avec le temps, disent-ils, une solution sera trouvée, d’autant plus qu’un décret doit également provoquer la refonte des 29 arrondissements existants en une douzaine. Mais encore faut-il que le nombrilisme urbain dont fait preuve la municipalité prenne fin.

« La diversité culturelle et industrielle de l’ancien district de Taichung est telle que si une approche centrée sur la ville continue d’être appliquée dans la définition des politiques publiques, les campagnes seront vite marginalisées en termes d’accès aux ressources administratives », estime Lee Yeh-cheng [李謁政], le directeur et fondateur de l’Association culturelle de Wufeng et professeur associé au département de la Conservation du patrimoine de l’Université nationale des sciences et technologies de Yunlin. Il est partisan d’une démarche multiculturelle de développement des territoires. Il s’inquiète aussi de voir la culture urbaine atteindre de nouveaux sommets en termes d’importance budgétaire et de monopolisation des ressources administratives. Il cite par exemple l’organisation de festivals de jazz et de concerts d’Andrea Bocelli ou encore des « Trois ténors ».

L’incitation au développement

En dépit des inquiétudes que provoque la réforme administrative, un grand nombre des communes aujourd’hui transformées en arrondissements spéculent sur la création d’une spirale du développement qui pourrait être favorisée par l’action de la nouvelle municipalité spéciale.

 

Taichung doit se repenser de manière plus durable.

Chen Tingxiu indique que la conurbation du Port de Taichung (englobant Wuqi, Shalu, Qingshui et Longqing) existe sur le papier depuis 30 ans mais qu’aucun développement majeur en termes d’infrastructures ou d’augmentation de la population n’a été constaté dans la réalité. L’ancienne administration districtale avait tenté de s’appuyer sur un plan de développement de la commune de Wuqi pour créer des effets d’entraînement, sans succès, malgré l’octroi de 40 ha (une surface inégalée jusqu’ici) destinés à une zone commerciale. Aujourd’hui, les habitants de Wuqi attendent avec impatience que Jason Hu [胡志強], le maire, prenne le dossier en main.

Wu Chang-kun [吳長錕], directeur de la Fondation culturelle de Niumatou, une structure dont l’objet est la mise en valeur des patrimoines écologique, culturel et historique à Qingshui, explique que les zones humides de Gaomei sont les plus étendues du centre de Taiwan. Plus de 130 espèces d’oiseaux y passent chaque année, dont un grand nombre d’espèces en voie de disparition. L’administration districtale en avait fait un projet phare en matière de conservation du littoral sans pour autant arriver à traduire concrètement cette volonté politique dans les faits.

Jason Hu a récemment déclaré qu’il plaçait ce dossier en tête d’agenda, la conservation du littoral étant l’une de ses priorités. Il a immédiatement décrété l’augmentation du nombre de patrouilles de police affectées à la surveillance de la zone afin de prévenir les comportements nuisibles à l’environnement. Un budget a été voté pour la création d’un parking et la construction d’un centre d’accueil pour les touristes. Jason Hu a également promis des subventions du ministère de l’Agriculture pour la mise en valeur du site.

Lier les industries entre elles

Parmi les habitants des zones urbaines de la nouvelle municipalité spéciale de Taichung, la réforme administrative est au contraire accueillie avec beaucoup d’optimisme. Pour Chai Junlin [柴俊林], qui est directeur de l’Association des hôteliers de Taichung et vice-président de l’Hôtel National, cette fusion a permis de lever un certain nombre de contraintes tout en apportant un lot intéressant d’opportunités. Il imagine que les ressources urbaines comme rurales pourront s’intégrer pour offrir au visiteur une palette de loisirs réellement attractive : une journée passée au contact d’une nature magnifique pour la visite des fermes ouvertes aux touristes, des balades en vélo dans les parcs ornithologiques ou le long du littoral pourront avantageusement se terminer en ville, où la vie nocturne ne manque pas d’attrait et où les grands magasins font la promesse de quelques heures de shopping réussies. Une offre de restauration riche est aussi, pense-t-il, la garantie du succès d’un passage par le centre-ville.

Il faut toutefois le reconnaître, le tourisme ne suffira pas à faire de Taichung un grand centre international. La nouvelle métropole va devoir s’atteler à de nouveaux chantiers. Kung Ming-hsin [龔明鑫], le vice-président de l’Institut de recherche économique de Taiwan, souligne le déséquilibre dont a toujours souffert cette région. A l’origine, les Japonais avaient fait de Taichung un centre administratif et avaient négligé d’en développer l’arrière-pays. Lorsque le Kuomintang est arrivé, poursuit-il, le village de Zhongxing, à la frontière du district de Nantou (situé au centre de l’île et le seul n’ayant pas de façade maritime), a été désigné pour accueillir l’administration de la Province de Taiwan. De ce fait, Taichung a fondé son développement sur celui d’un centre de consommation, et ce en dépit de la présence d’une florissante industrie de la machine-outil. Malgré l’excellence des infrastructures locales (un aéroport et une zone portuaire) note Kung Min-hsin, la faiblesse de la base industrielle de Taichung n’a pas permis à la région de se saisir de toutes les opportunités de développement.

Le Parc scientifique du centre de Taiwan, fondé en 2003, représente la première tentative de remédier à ce déséquilibre en proposant de lier le centre urbain aux entreprises des zones périphériques. Avec la présence de ce pôle, l’industrie optoélectronique est devenue le moteur de croissance de la région, entraînant avec elle l’industrie de la machine-outil. Les petites et moyennes entreprises, très nombreuses, ont elles aussi fait évoluer leur taille, ce qui a provoqué une élévation des prix de l’immobilier et une hausse de la consommation sans que le gouvernement ait besoin d’intervenir. Kung Ming-hsin est ainsi persuadé que la fusion administrative est une bonne chose mais qu’elle ne permettra de libérer tout le potentiel économique de la région qu’à la condition que les politiques publiques soient adaptées : aider au renforcement de la base industrielle et travailler au développement de relations internationales.

La première mesure à prendre, toujours selon Kung Min-hsin, est de renforcer les connexions internationales du port de Taichung qui ne sert jusqu’ici qu’à importer des matières premières comme le gaz naturel. C’est aussi le cas de l’aéroport, ancienne base aérienne américaine, qui n’amène pas assez de touristes internationaux puisque son utilité est presque entièrement tournée vers le transport des voyageurs locaux. La municipalité de Taichung doit donc trouver le moyen de connecter ces infrastructures aux industries du centre de l’île. Ensuite, estime Kung Ming-hsin, Taichung doit s’efforcer de convaincre les grands groupes d’implanter des bureaux ou des centres d’opérations sur son sol. Le triangle que forment l’aéroport, le port et le Parc scientifique du centre de Taiwan à proximité de Taichung semble idéal. Finalement, c’est dans le domaine universitaire qu’il s’agit d’investir pour permettre le développement de capacités de recherche et développement qui renforcent l’attractivité de la région.

Le mythe du développement

La véritable question reste toutefois d’équilibrer prospérité et développement durable. Par exemple, l’implantation du parc scientifique dans la périphérie est de Taichung a contribué à une explosion de l’urbanisme qui se révèle nuisible pour l’environnement et, ces dix dernières années, on a constaté une dégradation forte de la qualité de l’air et de l’eau ainsi qu’une pollution des rizières. Pour beaucoup, les futurs scrutins électoraux à Taichung se joueront sur cette problématique.

Ces dernières décennies, la ville de Taichung a apporté de nombreuses modifications à son cadastre, transformant des terres arables en zones constructibles. Certains quartiers ont été témoins d’une explosion des prix de l’immobilier à mesure que les gratte-ciel de luxe sortaient de terre. Le déséquilibre est aujourd’hui frappant avec la désolation qui règne dans le quartier de la gare. Thomas Chan [詹順貴], un des représentants du Front rural de Taiwan, regrette que les larges étendues de terres agricoles dont sont généreusement pourvus le centre et le sud de Taiwan aient, en fait, servi la spéculation immobilière du fait de leur bas prix, avec la bénédiction des collectivités locales, obsédées par l’idée de développement. Le reclassement de terres arables en zones constructibles autorise une collectivité territoriale à en saisir 30% pour y implanter des infrastructures et à en revendre entre 10 et 20% pour remplir ses coffres. Cette pratique a pour conséquence d’élever le prix de la terre, et donc de la fiscalité, et de générer un chapelet de problèmes en termes de développement urbain. C’est aussi une problématique constatée à Taipei, rappelle-t-il.

Lorsqu’on observe, au coucher du soleil, la vue qui s’offre à nous depuis les hauteurs du mont Dadu, on voit briller des milliers de points lumineux là où s’étendaient, il y a 20 ans, de vastes surfaces agricoles. Avec cette réforme administrative qui donne les pleins pouvoirs à une seule collectivité territoriale, la vision que le maire a de sa municipalité devient primordiale. Il faut certainement que soit réexaminé le paradigme du développement au profit d’une approche prenant mieux en compte les richesses rurales de la nouvelle municipalité.

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