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Voyage dans le temps à Taichung

01/07/2006
Le site archéologique de Huilaili, découvert à Taichung intra-muros, se tient à la croisée du développement économique et de la conservation du patrimoine culturel

>> Le site archéologique de Huilaili, découvert à Taichung intra-muros, se tient à la croisée du développement économique et de la conservation du patrimoine culturel

Vers la mi-mai 2002, Chen Sheng-ming [陳勝明], étudiant en biologie à l’université Tunghai, à Taichung, faisait sa promenade quotidienne près du grand magasin Idée nouvellement construit, dans un quartier en rénovation de cette ville, quand son regard fut attiré par des tessons de poterie rouge sombre sur le sol. Il les ramassa et les porta à Ho Chuan-kun [何傳坤], son professeur d’histoire et doyen du département d’anthropologie au musée national des Sciences naturelles, dans la même ville. A ce moment-là, ni l’enseignant ni son élève n’avait encore d’idée de ce que représentait cette découverte fortuite pour l’histoire de la métropole du centre de Taiwan, à savoir qu’elle repousserait jusqu’au 2e millénaire avant notre ère les origines du peuplement de cette région. Le site de Huilaili — le nom du lieu-dit sur lequel ont depuis été effectuées des fouilles — consiste en 3 strates géologiques contenant chacune les restes d’une civilisation différente. La plus profonde correspond à la civilisation de Niumatou, la plus ancienne connue dans la région de Taichung. « La découverte de Huilaili est une véritable surprise, explique le professeur Ho Chuan-kun. Lorsque nous avons commencé les fouilles, nous savions que nos recherches allaient déranger. »

De fait, un litige est apparu entre les promoteurs du plan de développement commercial du quartier et la direction nationale de la conservation du patrimoine historique. Ce quartier est celui où se trouvent les terrains les plus chers de Taichung, et le site archéologique est en partie situé en dessous de centres commerciaux tels que les grands magasins Idée et Shin Kong Mitsukoshi, ainsi que la galerie marchande Tiger City Mall. Il y a encore l’opéra et le nouveau centre administratif de la ville. A proximité s’élèvent aussi un nouveau parc scientifique, une zone industrielle et le Centre de commerce international —, un ensemble qui couvre une partie des 15 ha que pourrait occuper le site archéologique. « C’est la première fois que nous trouvons un site si vaste en plein cœur d’une agglomération urbaine», dit Ho Chuan-kun.

Les fouilles pourraient ouvrir une large fenêtre sur un passé inconnu. L’histoire documenté de Taiwan commence il y a environ 400 ans lorsque des colons chinois vinrent s’y installer. Alors que les manuels relatent essentiellement l’histoire chinoise, on s’intéresse aujourd’hui de plus en plus à l’histoire de l’île avant l’arrivée des pionniers chinois.

Pour en savoir plus sur les peuples préhistoriques de l’île, il faut s’appuyer sur les vestiges retrouvés dans des sites tels que Huilaili. Sa découverte est particulièrement importante en raison de la richesse archéologique des couches géologiques qui s’y trouvent. Il y en a trois, d’une épaisseur de 60 cm chacune et contenant des restes des civilisations de Niumatou (antérieure à 1500 av. J.-C.), de Yingpu (jusqu’au début de l’ère chrétienne) et de Fantzuyuan (ou Fanziyuan) (jusqu’au XVe s.) — tout cela montrant que la région a été peuplée de manière dense et continue pendant plusieurs millénaires.

Des fragments de poterie ont été trouvés en grande quantité, ainsi que des perles de marbre et de lazurite, ce qui semble indiquer que des échanges ont eu lieu avec d’autres contrées du Sud-Est asiatique ou avec la côte du Sud-Est de la Chine. La présence d’anneaux et d’herminettes en néphrite suggère une interaction avec les habitants de la côte orientale de l’île, d’où provient cette pierre. Les 3 couches s’étalent dans le temps depuis le milieu jusqu’à la fin du néolithique et appartiennent à la période de la civilisation de la poterie à la corde dans le bassin de Taichung.

La mise au jour de Huilaili a mis les archéologues du musée des Sciences naturelles de Taichung sous les projecteurs des médias et leur a aussi attiré l’hostilité de puissants groupes d’intérêts de la ville. Les terrains où les fouilles ont été entreprises sont vivement disputés entre les groupes d’affaires — les propriétaires d’immeubles d’habitation, de galeries marchandes et d’hôtels riverains — et la municipalité, surtout ceux où deux couches géologiques sont mieux conservées et qui sont estimés à 1,5 milliard de dollars taiwanais.

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Les objets retrouvés sur le site apportent des éléments nouveaux concernant le mode de vie des populations préhistoriques de la région.

Un premier squelette humain exhumé le 30 septembre 2003 a permis d’apporter de nouveaux éléments importants. Ce squelette est celui d’un garçon de moins de 6 ans, qui mesurait environ 1 m et est décédé il y a plus de mille ans. A ses côtés, on a retrouvé des objets en terre cuite, des arêtes de poisson et des objets en pierre, supposés être des offrandes mortuaires. Les tests ADN ont révélé de fortes similarités génétiques avec les Saisiyat et les Amis, deux tribus aborigènes de Taiwan.

Les habitudes funéraires sont d’un grand intérêt pour les archéologues. Le squelette de l’enfant, ainsi que ceux d’une vingtaine de personnes dont on a découvert les restes par la suite sur le même site, est couché face contre terre et les mains placées dans le dos. Les sépultures dans lesquelles les corps sont inhumés dans cette position, une caractéristique de la civilisation de Fantzuyuan, sont très communes dans le centre de Taiwan. « Les coutumes de ces peuples sont totalement différentes de celles des Chinois, constate Chu Hui-li [屈惠麗], chercheuse assistante au département d’Anthropologie du musée national des Sciences naturelles. A Huilaili, les sépultures se trouvent tout à côté des lieux de résidence, alors que les Chinois préfèrent les mettre dans un endroit complètement séparé. »

Bien qu’on ne puisse pas encore confirmer le lien entre les civilisations préhistoriques découvertes à Huilaili et les actuels aborigènes de Taiwan, Wen Chen-hua [溫振華], professeur à l’Institut supérieur d’histoire taiwanaise à l’université nationale normale de Taiwan, souligne que Huilaili aurait pu être le point de départ de la migration des peuples de Niumatou vers les plaines du littoral de l’ouest qui se seraient ensuite installés dans le bassin de Taichung, puis au pied des contreforts de la Chaîne centrale de montagnes. La civilisation de Niumatou, assurément la plus ancienne de Taiwan, remonte au Néolithique. « C’est assez rare de trouver un site archéologique de cette importance, affirme Wen Chen-hua. Un musée qui se tiendrait sur les lieux-mêmes ne manquerait pas d’attirer encore plus de visiteurs. »

Pour sensibiliser l’opinion publique à cette découverte, le musée des Sciences naturelles a organisé une exposition spéciale, demandant au sculpteur Lin Chien-cheng [林健成] d’imaginer le visage du garçon, surnommé Petit Lai, dont on a retrouvé le squelette. L’artiste lui a donc donné un visage en s’inspirant des gamins aborigènes des plaines, dits Pingpu, qui habitaient encore au XIXe s. les plaines littorales de l’ouest de Taiwan. Des archéologues ont tenu des séminaires sur les lieux des fouilles, invitant le public à travailler avec eux, ce qui leur permet de prendre directement contact avec l’histoire de leur ville. « Nous avons donné dans plusieurs écoles des conférences animées de projections, afin de susciter l’intérêt des jeunes, dit Ho Chuan-kun. Nous voulons utiliser tous les moyens possibles pour que la population en sache plus sur le site de Huilaili. »

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Des tessons de poterie et des outils en pierre dans les fouilles de Huilaili.

Les efforts des archéologues ont porté leurs fruits puisque 12 000 lycéens, soit plus de la moitié de l’ensemble des lycéens de Taichung, ont signé une pétition en faveur de la préservation du site. D’après Ho Chuan-kun, l’initiative a certainement eu une influence sur le maire de Taichung, Jason Hu [胡志強], qui a décidé de suspendre pendant un an la vente des domaines publics sur lesquels déborde le site archéologique.

De plus, Chu Hui-li signale que la dispute concernant le site de Huilaili est en fait devenue un cas emblématique pour l’archéologie urbaine et a remonté le moral de beaucoup de scientifiques. C’est la première fois, à Taiwan, qu’un site suscite tant d’intérêt dans les médias et un débat de fond sur la question de savoir qui devra l’emporter, des archéologues ou des promoteurs immobiliers, dit-elle.

En dépit des conflits d’intérêt, Ho Chuan-kun pense que les objectifs économiques et la préservation du patrimoine culturel peuvent coexister. « Les archéologues, les architectes et les propriétaires fonciers peuvent trouver une solution qui soit bénéfique pour tous », dit-il, espérant qu’un musée pourra être construit et éventuellement intégré dans le projet de développement commercial. « Il faut convaincre les promoteurs qu’il y a aussi des retombées commerciales à attendre d’un site archéologique, poursuit-il. Un musée établi sur des lieux de fouilles serait hautement rentable pour l’industrie du tourisme de Taichung. »

A l’heure actuelle, le sort de Huilaili est en suspens. La municipalité n’a pas encore inscrit le terrain au patrimoine culturel de la ville. Si elle le faisait, il pourrait ensuite être classé au niveau national. « L’avenir de ce site reste encore difficile à prédire, à moins qu’il ne soit placé sous la protection de l’Etat. » ■

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