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Le monde des toiles :A la recherche des araignées taiwanaises

01/09/2002

>>Peu de gens savent que Taiwan possède un arachnologiste de renom, le professeur Chen Shyh-hwang, qui a publié au début de l’année un guide des araignées communes de Taiwan, le premier ouvrage illustré complet consacré au sujet, décrivant les différentes espèces vivant dans l’île. Il apporte une nouvelle lumière sur les araignées et montre le rôle que jouent ces petites bêtes dans l’écologie insulaire

Outre les nombreux spécimens qu’a collectionnés le professeur Chen Shyh-hwang [陳世煌], quatre autres espèces se cachent dans les locaux laboratoire du département de biologie de l’Université nationale normale de Taiwan. Il les énumère : dans un coin, une toile d’araignée poussiéreuse et d’aspect peu engageant a été tissée par un petit habitant des logis, l’Œcobius, qui est justement et communément appelée ici l’araignée des poussières ; un autre insecte qui vit aussi dans les coins des salles sombres est l’araignée des celliers, le pholque, qui, chaque été, veille soigneusement sur sa progéniture en tenant ses sacs à œufs ronds et blancs sur le haut de ses chélicères; l’araignée sauteuse d’Adanson (Hasarius adansoni) qui, grâce à ses grands bonds, déambule dans les maisons; enfin l’araignée cracheuse (Scytodes thoracica) qui se cache dans les lézardes des murs et dans les étagères de bibliothèque. Elle surgit toujours au moment où on s’y attend le moins.

Des visiteuses indésirables

Peu de gens considèrent, à l’instar du professeur Chen Shyh-hwang, les araignées comme des invitées d’honneur. A la vue d’une araignée, comme l’immense laya (Heteropoda vanatoria), une araignée chasseuse brune, assez commune dans les maisons, la plupart des gens pâlissent et poussent des cris d’horreur avant de chercher à l’éliminer.

Les araignées sont des Arthropodes, un ordre comprenant divers autres insectes comme les scorpions ou les mille-pattes. Les Arthropodes sont toujours les créatures qui effraient le plus, et on croit encore que toutes les araignées sont venimeuses. En termes d’évolution biologique, cet ordre, qui a survécu avec vaillance aux évolutions de la planète, se répartit sur toute la planète en de nombreuses familles et espèces, dont plus de 30 000 pour les seules araignées, principalement assez proches de l’habitat humain.

Le venin de 99,8% des espèces d’araignées est inoffensif pour l’homme. « Hormis un petit nombre qui peuvent causer une douleur ou une démangeaison chez les personnes allergiques, il n’y a pas plus de cinq espèces qui représentent un réel danger pour l’homme », explique le professeur Chen Shyh-hwang.

La plus venimeuse des araignées - la veuve noire -, Taiwan n’en possède qu’une seule espèce : l’araignée au dos rouge (Lactrodectus hasselti). Comme l’endroit où elle vit est rarement fréquenté par l’homme, rares sont les cas où elle a été aperçue. Personnellement, Chen Shyh-hwang, qui étudie l’arachnologie depuis plus de dix ans déjà, n’en a vu qu’une seule, au Mont Chiuchiu dans le hsien de Nantou. La macrothèle, qui tisse une toile en forme d’entonnoir (Macrothele taiwanensis), dont le venin contient une toxine dangereuse pour le système nerveux, vit principalement sous terre et, de ce fait, est aussi rarement visible. En fait, les espèces d’araignées qui partagent la vie trépidante de l’homme représentent une infime quantité - la plupart vivent dans la nature.

Au royaume des araignées

Lorsque le printemps cède la place à l’été, le monde naturel atteint le paroxysme de la vitalité, et c’est aussi la période de reproduction de nombreuses espèces. Alors que le professeur Chen Shyh-hwang et ses élèves font une randonnée dans les sentiers de montagne autour du temple Huangti, à Shihting, dans les environs de Taipei, ils ont le sentiment de s’avancer profondément dans le royaume des araignées.

Soulevant un caillou humide, le professeur Chen Shyh-hwang découvre cinq ou six espèces différentes d’araignées-loups. Une lycose (Lycosa cælestis) s’enfuit comme un éclair portant son cocon sur le dos. Les petits d’une autre araignée-loup (Pardosa takahashii), paniqués, tombent du corps de leur mère auquel ils s’agrippaient, y regrimpent aussitôt avec agilité tandis qu’elle s’engouffre dans un trou sous terre.

Tissant au milieu du feuillage une toile circulaire, une araignée des jardins (Leucauge magnifica), à l’abdomen blanc et au dos noir, reste imperturbable en présence de l’homme. Avec ses longues pattes étirées, elle s’assoit résolument sur sa toile bâtie sur un tapis de feuilles de palmier, attendant patiemment que son repas soit servi. Dans un arbre à côté, à deux mètres de hauteur, une araignée vert pâle (Oxytate striatipes), sorte d’araignée-crabe, a placé ses cocons sous une feuille, sur laquelle la femelle s’accroupit et veille jour et nuit.

Sur un rocher couvert de mousse au bord du sentier, une dangereuse macrothèle occupe l’ouverture d’un petit trou devant lequel elle a tendu sa toile pas plus large que la paume de la main. Etendue de toute la longueur de ses pattes, elle attend en bordure qu’un insecte se prenne dans ses rêts. Il sera aussitôt emporté pour être dévoré. Le long du sentier de montagne, le professeur Chen Shyh-hwang s’accroupit sur ses talons pour retourner les pierres, écartant soigneusement les feuillages et fouillant des yeux les rochers ou les troncs d’arbre à la recherche de ses animaux préférés. En deux heures, le groupe a fait connaissance avec plus d’une trentaine d’espèces.

Les pattes velues et la soie

Si les Insectes et les Araignées, au sens scientifique, sont classés dans le même ordre des Arthropodes, ils présentent des différences importantes. Les Insectes possèdent un corps divisé en trois parties - la tête, le thorax et l’abdomen - et six pattes. Les Arachnides, auxquels appartiennent les Araignées, ont un corps en deux parties seulement - le céphalothorax (comprenant la tête et le thorax) et l’abdomen - et au moins huit longues pattes qui peuvent être velues. Uniques par leur constitution, les araignées disposent de certains attributs physiques remarquables, comme leurs appareils digestif, circulatoire, respiratoire et nerveux. Leurs pattes comportent chacune sept segments avec au bout une sorte de pince qui leur permet de marcher rapidement sur leur toile et ailleurs, tandis que les pattes arrières dirigent le fil de la soie. Certains poils de ces pattes sont des organes du goût et de l’odorat, et d’autres servent à écouter et à s’orienter. En général, tous très sensibles à l’air qui souffle sur le sol, sur l’eau ou dans leur toile, ces poils sont des outils indispensables à la chasse ou à la fuite devant les prédateurs.

A part les pattes à tout faire, la façon dont les araignées filent leur soie et tissent leur toile est une merveille de la nature. Cette soie généralement blanche et translucide est un composé riche en protéines. Sa composition est élaborée et complexe. Selon l’usage qui en est fait, certains fils sont poisseux pour mieux attraper les proies ; d’autres servent à construire le nid, à confectionner le cocon, à envelopper ou immobiliser la proie.

Les araignées sont toutes de remarquables fileuses, mais on les classe en deux catégories : les bâtisseuses de toiles et les autres. Les premières, d’un tempérament calme et posé, tissent une toile selon la meilleure inclinaison pour attraper leurs proies et s’y fixent pour longtemps, du moins jusqu’à ce qu’elles en soient délogées. Quant aux autres, vagabondant çà et là sur le sol, les arbres, les plantes et les murs, elles dévident derrière elles un fil avertisseur qui leur assure une sécurité partout où elles se faufilent, même lorsqu’elles sautent vers des lieux plus élevés ou qu’elles sont emportées par un coup de vent. Les araignées sauteuses que l’on rencontre souvent dans les habitations, comme la rusée laya, ne bâtissent pas de toile et n’ont pas de nid.

En haut des arbres

L’habileté des bâtisseuses à attraper leur nourriture en tendant des toiles est étroitement liée à l’évolution des insectes, leur proie principale. De la même manière que ceux-ci commencèrent à ramper sur le sol pour ensuite grimper sur les arbres, les branches et les feuilles avant de s’envoler, l’habileté des araignées à utiliser leurs toiles de soie a également progressé par bonds. A l’origine, les araignées vivaient au sol, mais ont commencé à construire toutes sortes de toiles pour parfois s’élever bien au-dessus, jusque dans les airs.

Les entomologistes ont classé les araignées selon la forme de leur toile : circulaire (ayant l’aspect d’une roue à rayons), en couches superposées, en entonnoir, en ligne, à mailles et à festons enchevêtrés d’aspect irrégulier.

Si l’on observe une toile d’araignée, on découvre qu’elle est composée d’un nombre remarquable de mailles de dimensions variées correspondant à une stratégie particulière, un ensemble qui montre la dextérité de la bâtisseuse à la recherche de sa nourriture.

Les araignées vivent en moyenne deux ou trois ans et n’élèvent qu’une seule fois des petits, généralement au printemps ou en été. A cet époque, le mâle quitte sa toile à la recherche d’une partenaire. Comme la femelle est plus grosse que le mâle, celui-ci agit avec beaucoup de prudence. « Il accomplit tout un rituel de l’accouplement afin de ne pas se laisser confondre avec une proie », précise Chen Shyh-hwang.

Mais l’araignée-fiancée dévore-t-elle son prétendant après l’acte nuptial ? Le professeur explique qu’à Taiwan, hormis les araignées de la famille des Linyphiidées, qui tissent des toiles en couches, la plupart des autres couples se séparent indemnes. « En fait, les araignées agissent entre elles selon un grand nombre de manières. Par exemple, la philoponnelle aux pattes velues (Philoponnella prominens), commune dans le centre et le sud de l’île, vit en groupe social où les deux sexes coexistent parfaitement, tendant leurs toiles les unes à côtés des autres », dit-il. Les interactions biologiques sont des mécanismes complexes. Quand le mâle s’accouple, il est généralement en fin de vie.

Après l’accouplement, la femelle veille jusqu’à l’éclosion sur ses œufs qu’elle enveloppe d’un sac étanche qu’elle a elle-même tissé. Lorsque les petits éclosent, ils brisent cette protection pour sortir à l’air. Selon les familles, les araignées peuvent pondre jusqu’à plusieurs douzaines d’œufs, allant parfois jusqu’à un millier. L’incubation dure environ un mois, il faut encore un semaine avant que les petits ne quittent leur mère et ne vivent indépendamment.

Au moins mille espèces

La soie et le venin des araignées sont devenus des sujets de recherches, parfois dans l’espoir de développer un nouveau produit commercial. Des chercheurs thaïlandais ont par exemple travaillé avec acharnement pour trouver des gilets pare-balles tissés à partir de soie d’araignée. Et à la lumière d’analyses de la composition chimique du venin d’araignée, des scientifiques allemands ont isolé une protéine qui pourrait servir au traitement de maladies du cœur.

A Taiwan, la recherche arachnologique locale a commencé plus tardivement. Il y a une dizaine d’années quand Chen Shyh-hwang révisait la liste des espèces d’araignées vivant dans l’île, il a découvert que la plupart des plus de 300 espèces avaient déjà été répertoriées par des voyageurs étrangers (hors Japon), tandis que, ces 20 dernières années, 65 autres espèces l’avaient été par des entomologistes japonais.

Les araignées de Taiwan se répartissent en une quarantaine de familles, principalement les Psechrides (les araignées psechrides), les Oxyopides (les araignées-lynx), les Théridiosomatides (les araignées rayées), mais aussi les Lycosides (les araignées-loups), les Salticides (les araignées sauteuses) et les Hétéropodes (les araignées chasseresses brunes, dont la laya). Seulement trois ou quatre genres ont été décrits dans chacune de ces familles.

L’expérience du professeur Chen Shyh-hwang dans ce domaine montre que, si on prend le temps d’approfondir la recherche dans une famille donnée, on trouve deux ou trois fois plus d’espèces que celles déjà décrites. De plus, en raison de l’isolement des habitats, du fait que Taiwan est une île dotée d’un relief de hautes montagnes donc d’une grande diversité climatique, la proportion des espèces endémiques atteint facilement 10%.

« Lors d’une étude arachnologique réalisée autour du Mont Chiuchiu, dans le hsien de Nantou, nous avons découvert 200 espèces, indique le professeur, précisant que le nombre des espèces ainsi répertoriées pourrait atteindre entre huit cents et neuf cents, dont plus de la moitié n’a pas encore été identitifiée. C’est une tâche importante qui devra être entreprise prochainement pour comparer les spécimens entre eux, les dénommer et les classer afin d’en dresser un catalogue complet.

La nature prend soin d’elle-même

Chen Shyh-hwang a publié plusieurs études décrivant des espèces récemment découvertes à Taiwan. A côté de ses efforts pour combler les vides dans la répartition géographique connue des araignées insulaires, il s’est lié avec d’autres entomologistes afin de prélever des échantillons et observer l’évolution de la population des araignées autour du Mont Chiuchiu dénudé lors du tremblement de terre de septembre 1999.

Il a découvert que cette région dévastée avait été « recolonisée », d’abord par des plantes herbacées et par des arbrisseaux puis des arbres platyphylles à croissance rapide et enfin par les araignées qui ont aussitôt repeuplé le terrain. La population des araignées s’est multipliée tant en spécimens qu’en espèces, celles-ci préférant installer leur habitat dans les prairies. Mais dans les endroits restés sans végétation, où il n’y a guère de place pour s’abriter, sauf sous les pierres, le nombre des araignées est très restreint, indique Chen Shyh-hwang.

Bien que l’environnement insulaire subisse la pression immense du développement économique, le professeur Chen Shyh-hwang reste optimiste quant à l’avenir des araignées dans l’île. La destruction des régions humides peut avoir à long terme une influence sur les espèces qui préfèrent la moiteur. Cependant, pour l’ensemble des araignées qui sont petites et prolifiques dès qu’elles installent leur habitat, il n’y a pas de crainte à avoir pour leur survie.

Peut-être que ce que l’homme pourra faire de mieux à l’égard des araignées sera de repousser les limites de son ignorance, en éliminant ses craintes pour apprécier justement la variété et la vitalité de cet insecte. ■

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