07/05/2024

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Construire la maison verte du futur

01/01/2015
Les membres de l’équipe Unicode ont « répété » la construction de l’Orchid House sur le campus de l’Université nationale Chiao Tung avant de partir pour Versailles. (AIMABLE CRÉDIT DE L’ÉQUIPE UNICODE)
La première moitié de l’année 2014 a été particulièrement trépidante pour les étudiants et les professeurs de l’Institut supérieur d’architecture de l’Université nationale Chiao Tung (NCTU), à Hsinchu, dans le nord de Taiwan. En dehors des cours, ils travaillaient en effet ensemble à la réalisation de leur « Orchid House », un projet architectural « vert » innovant conçu pour le concours Solar Decathlon Europe 2014 et qui a le potentiel pour mettre la NCTU et Taiwan sur la carte mondiale dans ce domaine. Comme prévu le projet taiwanais a suscité une forte attention lors de ce concours qui s’est tenu entre le 28 juin et le 14 juillet, sur le domaine du château de Versailles, près de Paris, en France. Cette compétition réputée voit s’affronter des équipes universitaires du monde entier dont la mission est de construire des maisons solaires dotées de la plus haute efficacité énergétique.

La trentaine d’étudiants de la NCTU qui composaient la « Team Unicode », l’une des vingt équipes en lice, peut être fière de sa performance puisqu’elle a excellé dans quatre des dix catégories dans lesquelles les projets étaient jugés. Elle a remporté la première place dans la catégorie urbanisme, transport et accessibilité économique ; la deuxième place dans celle de l’innovation, et la troisième dans celle de l’efficacité énergétique, ainsi que dans celle du choix du public. L’équipe Unicode a également terminé quatrième dans la catégorie ingénierie et construction, et cinquième dans celle de l’architecture.

Cette performance est d’autant plus remarquable que c’était la première fois que Taiwan participait à cette compétition internationale. Créé aux Etats-Unis, le Solar Decathlon a été organisé pour la première fois en 2002 à Washington sous les auspices du département américain à l’Energie. La deuxième édition a eu lieu en 2005 et, depuis, la compétition se tient aux Etats-Unis tous les deux ans. En 2010, en accord avec l’Espagne, la première édition européenne du concours a été organisée à Madrid. Le Solar Decathlon Europe a de nouveau eu lieu en Espagne en 2012, avant de se déplacer vers la France en 2014. Par ailleurs, la famille des Solar Decathlon s’est agrandie avec une édition en Chine en 2013, et cette année, c’est dans la région de l’Amérique latine et des Antilles qu’un tel concours sera organisé pour la première fois.

L’édition 2014 du Solar Decathlon Europe a vu la participation de 20 équipes en provenance de 17 pays. Le prestige de cette compétition apparaît clairement à la lecture de la liste des équipes, dont le calibre est impressionnant : par exemple, l’équipe américaine venait du Massachusetts Institute of Technology, tandis que les Néerlandais appartenaient à l’Université de technologie de Delft. « Ce sont un peu les Jeux olympiques de l’architecture, les participants sont d’un niveau très élevé », dit David Tseng [曾成德], le doyen de la faculté des Lettres et Sciences sociales de la NCTU, qui est par ailleurs professeur à l’Institut supérieur d’architecture. « On peut aussi voir cette compétition comme une exposition internationale centrée sur le secteur [de l’architecture verte]. Vous pouvez y entrevoir les progrès qui sont en cours dans les établissements d’enseignement supérieur et les entreprises sur le plan de l’amélioration du quotidien au moyen d’une architecture innovante. »

David Tseng, qui est à l’origine du projet Orchid House, raconte que celui-ci a démarré à l’automne 2012, lorsqu’avec plusieurs autres universitaires, il a commencé à en esquisser les contours. En décembre de cette année-là, l’Orchid House décrochait sa qualification pour le Solar Decathlon Europe 2014, les organisateurs ayant accepté, après quelques hésitations, le concept de « maison sur le toit » présenté par la NCTU. Le projet a été peaufiné durant la première moitié de 2013, puis, au second semestre, l’équipe a préparé la construction proprement dire de la bâtisse dont la superficie au sol est de 146,6 m2. Il a fallu en particulier trouver les matériaux nécessaires et surtout identifier des sponsors.

Rafraîchir l’intérieur

Dès le départ, l’équipe a opté pour l’orchidée comme emblème. La collecte et le recyclage de l’eau de pluie ont donc été intégrés dans le design de la maison, en particulier pour pouvoir irriguer au goutte à goutte les orchidées qui seraient disposées à l’intérieur de la maison et maintenir ainsi une température ambiante agréable. La climatisation s’effectue aussi grâce aux panneaux solaires, à un mur à masse thermique, à l’évaporation et à des ventilateurs qui expulsent l’air chaud vers l’extérieur. « Taiwan est connu pour sa production d’orchidées, et cette plante a une signification importante dans la culture chinoise, rappelle Kung Shu-chang [龔書章], le directeur de l’Institut supérieur d’architecture de la NCTU. Ce qui fait aussi le caractère profondément taiwanais de l’Orchid House est que pratiquement tous les matériaux et objets utilisés, y compris la robinetterie, les meubles et la vaisselle, sont d’origine locale.

Le projet n’aurait sans doute pas vu le jour sans l’aide de ses sponsors. Selon Kung Shu-chang, le coût du bâtiment a été estimé à 50 millions de dollars taiwanais. Le richissime fondateur du groupe Ruentex, Samuel Yin [尹衍樑], a donné à lui seul pas moins de 20 millions de dollars. Un soutien financier substantiel a également été apporté par Delta Electronics, une société dont l’engagement pour la cause écologique est d’ailleurs symbolisé par les bâtiments écologiques qui abritent son siège au sein du Parc scientifique du sud de Taiwan.

Le secteur privé a contribué au projet d’autres manières également. Par exemple, le groupe Ruentex, investi dans l’immobilier, a fourni des conseillers. Taiwan Semiconductor Manufacturing Co., le premier fabricant mondial de puces électroniques en sous-traitance, et Delta Electronics ont l’une et l’autre prêté des ingénieurs électromécaniciens. Tung Ho Steel Enterprise a offert des conseils concernant l’acier recyclé. Certains des experts ont même fait le voyage jusqu’à Versailles pour être disponibles à tout moment durant la compétition.

Des charpentiers et des plombiers ont aussi été consultés pour les plans. Même des chefs cuisiniers ont apporté leur aide en donnant des cours de cuisine aux huit membres de l’équipe. En effet, les règlements du concours exigeaient que les équipes préparent des repas chacune dans sa propre maison. Durant ces agapes, les nombreuses personnes contribuant au projet pouvaient échanger et apprendre à se connaître, et les chefs cuisiniers avaient pour mission de faire en sorte que la cuisine taiwanaise laisse la meilleure impression sur tous ceux qui seraient invités à partager les repas de l’équipe Unicode.

L’Orchid House est conçue sur le plan d’un petit appartement avec mezzanine. Ce qui a demandé le plus de travail à l’équipe est sans doute la maîtrise des éléments verts (le captage de l’eau de pluie, les panneaux solaires, etc.) pour le montage desquels il y a eu plusieurs « répétitions » avant le départ pour Versailles, jusqu’à ce que l’équipe soit capable de construire l’ensemble de l’édifice en moins de dix jours – la période maximale laissée aux équipes concurrentes pour compléter leur construction. Les étudiants se sont entraînés à l’usine Tung Ho de Tainan, dans le sud de Taiwan, ainsi que sur le campus de la NCTU. L’Orchid House a ensuite été démantelée pour être expédiée à Versailles, mais l’équipe s’est entraînée jusqu’au dernier moment. Dans ce cas précis, les étudiants en architecture ont donc véritablement appris leur métier sur le tas, relève avec satisfaction David Tseng.

L’équipe Unicode pose avec les couleurs nationales et l’emblème de l’Université nationale Chiao Tung devant sa maison, qui a obtenu la première place au concours Solar Decathlon Europe 2014 dans la catégorie urbanisme, transport et accessibilité économique. (AIMABLE CRÉDIT DE FU YUE-MEI)

« Pour construire cette maison, nous avons dû apprendre à manier des équipements comme le chariot élévateur ou le bras articulé. C’était une expérience complètement nouvelle pour nous », raconte l’étudiant Tseng Sheng-kai [曾聖凱] qui avait pour tâche de surveiller le respect des plans, à propos de l’un des nombreux défis qu’il a fallu relever pour mener le projet à son terme.

En tant que responsable des relations publiques et de la publicité pour l’équipe, sa camarade Wu Ya-ting [吳雅婷] a trouvé que le plus difficile consistait à faire communiquer entre elles toutes les personnes impliquées dans le projet et qui venaient d’horizons divers, en particulier entre universitaires et professionnels issus de l’industrie. Les négociations ont parfois été tendues, dit-elle.

Le dur labeur des uns et des autres a heureusement été remarqué et apprécié. Si la maison verte taiwanaise a remporté la deuxième place dans la catégorie de l’innovation, dit Kung Shu-chang, c’est grâce à l’effet général des éléments écologiques qu’elle incorpore. Il cite en particulier le mur à masse thermique qui a été réalisé à l’aide de bouteilles en plastique recyclées : remplies d’eau, elles absorbent la chaleur durant la journée et la diffusent durant la nuit.

C’est un jury en chair et en os qui a salué cette innovation, mais ce sont les capteurs qui ont permis d’établir que l’Orchid House était l’une des plus performantes en matière d’efficacité énergétique en comparant la consommation énergétique de chacune des maisons participant au concours.

Les éloges ont évidemment touché les membres de l’équipe, mais ils disent aussi être heureux d’avoir autant appris en participant à ce concours. « Les professeurs sont parvenus à un consensus très clair : nous ne voulons pas rester dans notre tour d’ivoire à rédiger des articles de recherche à la chaîne qui ne répondent pas aux besoins de la société », dit Kung Shu-chang. Les enseignants et les étudiants de l’institut ont donc décidé de continuer à travailler ensemble sur des problèmes concrets. Le projet Orchid House a fourni une excellente opportunité de prendre cette direction. Il a aussi aidé à optimiser le programme des enseignements pour donner aux étudiants les compétences nécessaires à la résolution de problèmes pratiques. « Au cours de l’année et demie qui vient de s’écouler, dit le professeur, pour aider l’équipe Unicode, nous avons ouvert plusieurs nouveaux cours sur des sujets allant de l’habitat du futur et des innovations transdisciplinaires jusqu’aux fondamentaux dans les nouveaux médias. Ces cours étaient obligatoires pour participer au projet Orchid House. »

Serre urbaine

Kung Shu-chang a bien l’intention de faire en sorte que le projet ne s’arrête pas là, et il continue de faire de la publicité à l’Orchid House, en espérant que l’architecture verte prendra davantage de place dans le paysage urbain, en particulier à Taipei et dans les autres grandes métropoles de l’île. A Taiwan, très souvent, par le passé, les propriétaires des appartements situés au dernier étage des immeubles se construisaient une mini-maison ou un studio sur le toit, quand bien même ils n’étaient pas autorisés par la législation à s’approprier des espaces considérés comme communs à l’ensemble des copropriétaires. Beaucoup de ces structures subsistent sur les toits. L’idée de l’équipe Unicode était avec l’Orchid House de suggérer une autre utilisation de ces espaces et de mettre en lumière les bénéfices que peut apporter une habitation efficiente sur le plan énergétique. L’espoir est que cela encourage le développement, sur les toits des immeubles, d’espaces communautaires aux caractéristiques « vertes ». Cette ambition d’apporter des idées neuves pour la transformation de l’habitat urbain a joué un rôle dans la première place obtenue par l’équipe Unicode à Versailles dans la catégorie de l’urbanisme.

Une construction du type Orchid House sur le toit d’un immeuble, dit Kung Shu-chang, pourrait permettre de réduire la facture d’électricité de l’immeuble ou d’alimenter une borne de recharge pour voitures électriques au sous-sol. Les bienfaits de ce genre de bâtiment devraient d’ailleurs apparaître grâce à la location de l’Orchid House, pour un loyer modeste, à des citadins qui auront pour mission de contribuer à la création d’une communauté de copropriétaires ou de locataires.

« Avec l’Orchid House, dit David Tseng, il ne s’agissait pas seulement de construire une maison, mais aussi d’éduquer le public. Vues du ciel, les structures illégales qui encombrent les toits des immeubles enlaidissent Taipei.La prévalence de toits verts apporterait un changement salutaire. »

Maintenant que les qualités du projet ont été reconnues grâce au Solar Decathlon Europe et à l’intense couverture médiatique qui s’en est suivie à Taiwan, il devrait être plus facile pour l’Orchid House de trouver des soutiens dans la population, chez les entrepreneurs et auprès des pouvoirs publics. L’équipe Unicode espère aussi avoir la possibilité de reconstruire des Orchid Houses sur les toits de deux immeubles résidentiels de Taipei, dans le cadre de la grande exposition qui aura lieu en 2016, année pour laquelle la ville de Taipei a été déclarée Capitale mondiale du design par le Conseil international des sociétés de design industriel, une organisation à but non lucratif basée à Montréal, au Canada.

Bien sûr, les changements que Kung Shu-chang et tous ceux qui ont participé au projet appellent de leurs vœux ne se produiront pas en un jour. « Nous ne sommes pas naïfs, mais du moins proposons-nous un modèle qui apporte des réponses aux problèmes environnementaux et urbanistiques. »

Il n’y aura sans doute jamais une Orchid House sur le toit de chaque immeuble à Taiwan, mais la preuve est faite – et avec ingéniosité – qu’il existe d’autres façons de construire aujourd’hui.

 

 

Les plus lus

Les plus récents