29/04/2024

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

A la croisée des religions

01/01/2010
Des fidèles brûlent de l’encens dans le temple Hsing Tien, à Taipei.
Une femme dépose des offrandes sur l’autel de Matsu puis se prosterne plusieurs fois devant la divinité, les mains jointes sur des bâtonnets d’encens fumants. Après avoir murmuré quelques prières, elle demande conseil à la déesse. La dame rend ensuite hommage aux autres divinités représentées dans le temple, plante ses bâtons d’encens dans le grand encensoir puis va brûler quelques liasses de monnaie votive dans le four prévu à cet effet, dans la cour.

C’est une scène familière au temple Longshan de Taipei, un des plus vieux édifices religieux de l’île, où voisinent bouddhas, déités taoïstes et dieux de la religion populaire chinoise. Rien que de très naturel à Taiwan, véritable melting-pot religieux où l’héritage culturel chinois cohabite avec de nombreuses autres influences.

Pratiquement tous les Taiwanais adultes – et même une bonne part des 21% d’entre eux qui ne se considèrent pas comme croyants – suivent des rites religieux aux origines diverses, apprend-on à la lecture du Rapport sur l’évolution de la société réalisé par l’Academia Sinica en 2004 à la demande du ministère des Sciences. L’enquête, qui est menée tous les cinq ans depuis 1984, révèle que 90% des sondés s’étaient rendus au moins une fois au temple durant l’année 2004, 30% y allant au moins une fois par mois. Une autre enquête réalisée par le ministère de l’Intérieur à la fin 2008 a recensé à Taiwan 14 993 édifices religieux.

Les coutumes religieuses sont si solidement ancrées dans la société qu’on trouve des autels – dédiés à des divinités ou aux ancêtres – dans la plupart des foyers et que les commerçants ont l’habitude d’en dresser devant la porte de leur établissement les jours de rites. On se rend souvent au temple pour demander conseil ou assistance, par exemple lorsqu’on envisage de changer de travail ou en période d’examens.

 

Les temples dédiés au dieu de la Terre sont omniprésents à travers l’île.

Si toutes les grandes religions du monde sont présentes à Taiwan, ce sont tout de même le bouddhisme, le taoïsme et la religion populaire chinoise qui dominent. L’enquête de l’Academia Sinica, qui est basée sur un échantillon représentatif de 1 881 adultes, montre que 30,6% des Taiwanais se réclament d’un ou de plusieurs systèmes de croyance, tandis que 23,9% se disent bouddhistes, 15,3% taoïstes, 3,2% protestants et 2% adeptes de l’I-Kuan Tao, un mouvement religieux chinois panthéiste. La plupart des personnes observant les rites de la religion populaire se considèrent aussi comme taoïstes et/ou bouddhistes.

Le ministère de l’Intérieur a davantage resserré son étude de 2008 sur les 7% de Taiwanais, soit 1,54 million de personnes environ, qui pratiquent régulièrement une religion à l’exclusion de toute autre. Parmi ceux-ci, les taoïstes sont les plus nombreux (783 000 ou 50,8%), suivis des protestants (25,3%), des catholiques (11,1%) et des bouddhistes (10,7%). « A Taiwan, beaucoup de gens se disent bouddhistes, dit Johnny Chang [張家麟], vice-président de l’Association pour les études religieuses et professeur au département Culture et gestion des organisations religieuses à l’Université Aletheia, à Danshui. Pourtant, selon les organisations bouddhiques, il faut subir un rituel de conversion spécifique pour être considéré comme bouddhiste. »

Hormis les cultes originels des populations aborigènes de Taiwan, le paysage religieux de l’île a été formé par les vagues de migrations en provenance de la Chine méridionale, dont les premières remontent au XVIIe s. Les pionniers apportent leurs croyances avec eux, notamment le culte de Matsu, la déesse de la Mer. A peu près au même moment, le christianisme fait son apparition à la faveur de l’arrivée des premiers missionnaires hollandais et espagnols. A la fin du XIXe s., c’est le bouddhisme shinto qui s’établit dans l’île, pour une cinquantaine d’années – la durée de la présence des Japonais. Puis en 1949, le gouvernement de la République de Chine se replie sur Taiwan, en pleine guerre civile contre les communistes chinois. Affluent alors du continent entre 1 et 2 millions de soldats et réfugiés venus de l’ensemble du continent chinois, qui contribueront encore à enrichir le paysage religieux de l’île : religion populaire chinoise, islam, christianisme… L’ancien président de la République Tchang Kaï-chek [蔣介石], par exemple, s’était converti au christianisme et avait été baptisé en 1929 sous l’influence de son épouse Soong Mayling [宋美齡], fervente méthodiste.

 

Le culte des ancêtres est une pratique très répandue à Taiwan.

La Constitution de la République de Chine garantit la liberté de culte et le principe de l’égalité des confessions. Les relations n’ont toutefois pas toujours été complètement sereines entre le pouvoir et la religion, notamment sous la loi martiale (1949-1987). Sans doute l’I-Kuan Tao fut-il le plus affecté dans son développement. Ce mouvement syncrétique apparu en Chine au XVIIe s. qui emprunte au confucianisme, au taoïsme et au bouddhisme de même qu’aux grandes religions du Livre, avait connu un certain succès à Taiwan après 1949 parmi les intellectuels, les fonctionnaires et même les élus locaux. « Mais l’expansion rapide du mouvement et sa capacité à rassembler de larges foules ont été perçues comme une menace par le gouvernement », dit Chiu Hei-yuan [瞿海源], un sociologue de l’Academia Sinica. Les adeptes de l’I-Kuan Tao ont donc été obligés d’entrer dans la clandestinité ou de rejoindre la Société du taoïsme de la République de Chine. Le culte n’est devenu légal qu’à la fin des années 80. »

Les presbytériens eux aussi ont connu des difficultés sous la loi martiale. « Ils exprimaient ouvertement leurs préoccupations sociales et politiques en publiant des communiqués et en organisant des activités publiques, note Chiu Hei-yuan. Ils ont par exemple ouvertement apporté leur soutien au droit des Taiwanais à l’autodétermination. » En 1980, certains pasteurs presbytériens ont été arrêtés et accusés d’avoir caché des personnes recherchées pour leur participation aux manifestations pour la démocratie à Kaohsiung l’année précédente.

On est entré dans une nouvelle phase du processus avec l’abolition de la loi martiale en 1987. Deux ans plus tard, la révision de la Loi des organisations civiques permettait à de nouvelles organisations religieuses d’obtenir un statut légal. Depuis, celles qui avaient été interdites ou forcées de se fondre dans d’autres organisations ont demandé et obtenu leur reconnaissance par le ministère de l’Intérieur. Fin septembre 2009, pas moins de 788 associations religieuses étaient ainsi enregistrées. « Politique et religion ont alors noué de meilleures relations », dit Johnny Chang. Les politiciens de tous bords n’ont plus hésité à fréquenter les temples et les églises pendant les campagnes électorales pour aller serrer la main des personnalités religieuses dans le but évident de ratisser le plus large possible. »

 

Le Vénérable Sheng Yen, disparu en février 2009, ici en compagnie du cardinal Paul Shan [單國壐] en juin 2008, à l’occasion d’un séminaire à l’Université nationale Chengchi.

Par ailleurs, ces quelque vingt dernières années, on constate un véritable regain d’intérêt pour le fait religieux, et de nombreuses nouvelles sectes sont apparues. La méditation qui est au cœur des pratiques du bouddhisme a gagné en popularité, en particulier dans la classe moyenne. Certains groupes religieux ont su utiliser pleinement les médias pour recruter de nouveaux membres, asseoir les convictions de ceux-ci mais aussi faire la promotion de leurs activités culturelles, pédagogiques et humanitaires. La liberté de culte est totale, ainsi que l’atteste d’ailleurs le Rapport sur la liberté religieuse dans le monde publié par le Département d’Etat américain en 2009, qui souligne qu’à Taiwan, « la Constitution inclut la liberté de religion, et d’autres lois et politiques contribuent à une pratique religieuse généralement libre ».

Curieusement, certaines des religions qui ont été au premier plan durant la période de la loi martiale ont ensuite connu un certain déclin. Cela a par exemple été le cas de certaines congrégations chrétiennes. L’Association bouddhiste de la République de Chine, qui sous la loi martiale avait une position dominante, a, elle aussi, vu son influence diminuer, une tendance que le chercheur attribue à son conservatisme.

Epanouissement

Le bouddhisme lui-même a en revanche conservé toute son influence, et en son sein, certaines organisations se sont rapidement développées. La plus célèbre est peut-être la Fondation Tzu Chi de la compassion bouddhique et du secours créée par la Vénérable Cheng Yen [證嚴] et qui gère notamment des hôpitaux et divers programmes d’aide aux nécessiteux. Les monastères Fo Guang Shan et de la Montagne du tambour du dharma, respectivement fondés par les Vénérables Hsing Yun [星雲] et Sheng Yen [聖嚴] sont tout aussi dynamiques.

L’aura et la compassion de ces trois dignitaires religieux ont beaucoup fait pour l’expansion du bouddhisme dans la société taiwanaise, dit Johnny Chang. « En outre, les organisations qu’ils dirigent mettent davantage l’accent sur les bonnes actions que sur l’étude des écrits bouddhiques, et leurs enseignements sont relativement simples à apprendre et à pratiquer. En gros, leur message est un peu : “allez-y, vous aussi vous pouvez devenir un bouddha”. »

La Montagne du tambour du dharma travaille aujourd’hui à combler le vide laissé par la disparition de Sheng Yen, mort d’un cancer en février 2009. « Le charisme d’un leader religieux est quelque chose qui se cultive sur une longue période, dit Johnny Chang, et il reste à voir si le successeur de Sheng Yen aura le même rayonnement. Cela dit, pour un groupe religieux, le plus important est de s’institutionnaliser, afin d’éviter de devenir trop fortement dépendant de la personnalité d’un individu. »

 

La librairie du Centre d’action humanitaire Tzu Chi.

Selon Chiu Hei-yuan, d’autres systèmes de valeurs ont ces dernières années gagné en popularité. C’est en particulier vrai de ceux à caractère ésotérique ou mystique, comme la Scientologie qui assure avoir 10 000 adhérents à Taiwan, ou encore ceux qui allient exercices spirituels et physiques, comme le Falun Gong dont le recrutement se fait pour une bonne part grâce à la pratique du qigong, des techniques de respiration destinées à faciliter la circulation de l’énergie dans le corps. « Les gens sont un peu perdus dans la société changeante d’aujourd’hui, et ces nouvelles religions les aident à faire face au stress et à l’anxiété », remarque Chiu Hei-yuan.

Un appui traditionnel

A Taiwan, les organisations religieuses sont au cœur de l’action sociale et humanitaire. Avec en commun un même désir de venir en aide aux pauvres et aux nécessiteux, les associations bouddhiques et organisations catholiques et protestantes font un travail social remarquable. Les statistiques du ministère de l’Intérieur indiquent qu’à la fin de l’année 2008, les associations religieuses géraient dans l’île 24 hôpitaux, 11 cliniques, 26 maisons de retraite et 27 centres d’accueil pour les handicapés.

La Fondation Tzu Chi, par exemple, recense 7 millions de membres à travers le monde, et elle a étendu le champ de ses activités pour englober aussi les dons de moelle osseuse, la protection de l’environnement ou encore le bénévolat communautaire. Qui plus est, ses campagnes d’assistance ont dépassé les frontières et les différences de confession religieuse.

 

L’église de la Sainte Famille, à Taipei, l’une des 700 églises catholiques de Taiwan.

« Lorsque j’ai commencé à participer aux activités d’aide sociale de Tzu Chi en 1990, j’étais chrétienne, raconte Chou Hsiu-ming [周秀明], une bénévole de la fondation. J’ai été touchée par le dévouement totalement désintéressé des membres de Tzu Chi. La fondation mobilise toujours des bénévoles pour envoyer des secours dans les régions sinistrées, quels que soient l’endroit et la religion des victimes. » En 1996, Chou Hsiu-ming a décidé de se convertir au bouddhisme. « Mon mari est catholique, mais nous respectons la foi l’un de l’autre. Bien sûr, il est le bienvenu à Tzu Chi n’importe quand. »

« Pour moi, le bouddhisme est un mode de vie, dit Judy Lao [楊碧芬], qui a commencé à faire du bénévolat avec Tzu Chi en 1998. Les membres de Tzu Chi nous incitent à aider ceux qui n’ont pas autant de chance que nous. Leur sourire et la qualité de leur regard sont la preuve que ce qu’ils donnent n’est rien par rapport à ce qu’ils reçoivent en échange sur le plan spirituel. »

Sur les ondes

Le paysage audiovisuel religieux de Taiwan est aussi dominé par les organisations bouddhistes. La seule télévision chrétienne basée à Taiwan est Good TV, alors que les bouddhistes en ont quantité à leur actif, dont Da Ai TV (la chaîne de Tzu Chi), Beautiful Life Television, Hwazan TV, Buddha Compassion TV Station, Universal Culture Television et Life TV. Si Good TV, Da Ai et Beautiful Life proposent des programmes variés, les autres sont en général uniquement réservées aux émissions de propagation de la foi.

 

Dans l’enceinte de la Grande mosquée de Taipei.

Da Ai, fondée en 1998, est la télévision à caractère religieux la plus regardée à Taiwan. La chaîne, qui ne diffuse pas de publicités commerciales et ne bénéficie d’aucune subvention, dépend entièrement pour sa survie des dons du public. Ceux-ci ne viennent pas seulement de généreux et riches sponsors, puisqu’un quart de ses finances est assuré par les revenus de la vente de produits recyclables, grâce au travail de quelque 50 000 bénévoles.

« C’est le dévouement de ces bénévoles qui permet à Da Ai TV de continuer à produire des actualités et des émissions dont l’objectif est de promouvoir la vérité, la bonté et la beauté dans le monde, dit Dylan Yang [楊棟樑], en charge du département marketing de Da Ai. En offrant des émissions saines et variées sur des sujets allant de l’illumination spirituelle aux arts en passant par les questions de société, nous espérons attirer davantage de téléspectateurs de toutes nationalités et de toutes religions, afin de faire de ce monde un endroit meilleur pour tous. »

Les efforts de Da Ai ont été remarqués. Une enquête réalisée en 2008 par l’Université Shih Hsin sur les médias taiwanais a par exemple montré que Da Ai était citée comme la chaîne de télévision locale qui « a le plus d’influence sur la société », « a le plus d’influence sur les individus », « propose les reportages les plus objectifs », et « est la meilleure chaîne de télévision ». En outre, les émissions de Da Ai se sont aussi classées premières dans un sondage du portail Internet Yahoo! Kimo sur les médias à Taiwan, dans les catégories « la vision la plus globale », « montrant le plus de compassion », « proposant les reportages les plus fouillés », « la plus diverse culturellement », « la plus fiable », « la plus proche de la réalité » et « la plus pédagogique ».

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